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Guatemala: une balle dans le foie pour son opposition à un projet minier

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Depuis mars 2012, des manifestations ont lieu devant l’entrée du site minier d’El Tambor, une mine exploitée dans le centre du pays par une filiale locale du groupe américain Kappes, Cassiday & Associates. Les opposants à ce projet dénoncent l’absence de consultation avec la population locale et son impact environnemental.

Comme Yolanda Oquelí, les défenseurs des droits humains engagés pour les droits économiques, sociaux et culturels au Guatemala sont souvent visés en raison de leurs activités. Les militants travaillant sur les questions relatives aux industries extractives sont la cible d’agressions physiques et d’intimidations, voire d’assassinats.

JOL Press : Dans quel état se trouve aujourd’hui Yolanda Oquelí ?
 

Dominique Curis : Yolanda Oquelí est une personne combattante, très forte, qui continue de militer malgré les menaces dont elle a fait l’objet à plusieurs reprises et dont elle continue de faire l’objet. J’ai eu l’occasion de parler avec elle il y a encore quelques jours, et elle tenait absolument à faire parler de sa situation et de celle des personnes qu’elle défend.

Elle était également très affectée par les déclarations du ministre de l’Intérieur guatémaltèque, qui, il y a quelques jours encore, associait les défenseurs des droits de l’Homme au Guatemala à des malfaiteurs. C’était un élément de plus dans cette abondance de calomnies à l’égard des défenseurs qui ne fait que renforcer la stigmatisation dont ils font l’objet.

JOL Press : Quelles mesures le gouvernement guatémaltèque avait-il prises suite aux agressions dont a été victime Yolanda Oquelí ?
 

Dominique Curis : Le gouvernement guatémaltèque, sous la pression de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme, s’est résolu en septembre 2012 à accorder à Yolanda des mesures de protection, à savoir deux gardes du corps pour la protéger, elle et sa famille. C’est une mesure qui va dans le bon sens mais qui intervient très tardivement : Yolanda Oquelí avait déjà signalé, avant même son agression en avril 2012, qu’elle faisait l’objet de menaces sérieuses et rien n’avait été mis en place.<!–jolstore–>

Ce n’est qu’une fois qu’elle a été victime d’une tentative d’assassinat qu’elle a eu le droit à ces mesures de protection, qu’elle estime encore être insuffisantes parce que les menaces continuent d’être intenses à son encontre et à l’encontre des autres défenseurs.

Encore une fois, des mesures de protection, c’est bien, mais cela ne suffit pas si ce n’est pas accompagné d’une vraie volonté politique qui se traduise dans les discours. On ne peut pas d’un côté accorder des gardes du corps aux défenseurs des droits humains et de l’autre les traiter de malfaiteurs dans les médias et les donner ainsi pour cibles à de possibles agresseurs. Il faut être cohérent entre les actes et les discours.

JOL Press : Connaît-on aujourd’hui l’identité des agresseurs de Yolanda Oquelí ?
 

Dominique Curis : On ne sait pas nominativement qui sont ses agresseurs bien évidemment, puisqu’il n’y a pas à ce jour d’enquête qui ait donné de résultats quant à cette agression. Maintenant, on sait que Yolanda Oquelí était très menacée en raison de ses activités d’opposition à un projet d’extraction minière, qui lui a attiré les foudres des industries extractives et de tous ceux qui soutiennent ces projets-là ; projets qui se font bien trop souvent sans aucune consultation avec les communautés locales.

JOL Press : Bénéficie-t-elle de soutiens au Guatemala ?
 

Dominique Curis : Yolanda n’est pas seule, elle fait partie d’une organisation qui s’appelle FRENAM [Front nord de la zone métropolitaine] qui milite contre ces projets d’extraction minière. À ce titre-là, c’est vraiment un collectif qui agit et qui dénonce les agressions dont font l’objet ses membres. C’est Yolanda Oquelí que l’on met en avant aujourd’hui, mais elle représente ce collectif. Elle donne de la voix aux communautés qui sont menacées par ces projets miniers et qui évidemment soutiennent Yolanda en retour.

JOL Press : D’autres membres du collectif ont-ils également subi des attaques ou des menaces ?

Dominique Curis : Oui, je pense notamment à l’un des membres de FRENAM qui, quelques semaines après l’agression de Yolanda, avait été suivi à moto pendant un moment de façon menaçante.

Alors qu’elle avait vécu dans la clandestinité pendant plusieurs mois après avoir été blessée, Yolanda Oquelí est revenue finalement à son domicile et elle a repris ses activités de militantisme. Mais des contre-manifestants sont arrivés et s’en sont pris à elle et à toutes les personnes qui manifestaient contre le projet minier, de façon très menaçante. Enfin, en juillet dernier, devant le domicile de Yolanda, des coups de feu ont éclaté. Sa maison n’a pas été touchée, mais c’était encore une fois très intimidant.

JOL Press : De quoi sont accusés principalement les militants ?
 

Dominique Curis : On les accuse de s’opposer aux industries extractives. Ils dérangent le laisser-faire de ces industries qui viennent s’installer au Guatemala pour extraire des richesses naturelles sans consulter – ou très peu – les communautés locales qui ne bénéficient souvent que peu voire aucunement des industries qui s’installent dans leur région, ou en subissent les conséquences environnementales assez graves. Les militants demandent au moins que soient discutés le « comment », le « où » et le « pourquoi » de ces industries, voire s’opposent totalement à ces industries. On leur reproche notamment de défendre le droit des communautés indigènes, souvent plus vulnérables, contre les intérêts de ces entreprises.

JOL Press : Continuent-ils encore leur lutte aujourd’hui ?
 

Dominique Curis : Oui, bien sûr. Et si aujourd’hui Yolanda Oquelí est mise en avant avec Amnesty International, c’est non seulement pour la soutenir elle mais pour soutenir aussi son action de défense des droits au Guatemala. Donc elle continue plus que jamais, et elle n’est pas seule.

JOL Press : Que demande Amnesty International pour Yolanda Oquelí ?
 

Dominique Curis : Nous demandons à ce que soient révisées les mesures de protection dont elle bénéficie et d’enquêter sur les agressions dont elle a fait l’objet. Mais aussi de prendre des mesures beaucoup plus structurelles et politiques, à savoir permettre aux militants et aux défenseurs des droits de l’Homme de manifester sans avoir la crainte d’être agressés.

Cela passe par une reconnaissance publique de la légitimité de leur travail. Des déclarations comme celles que nous avons entendues du ministre de l’Intérieur sont absolument inacceptables. Ce que nous attendons, c’est que les plus hautes autorités du gouvernement se prononcent publiquement pour reconnaître le bien-fondé des actions des défenseurs des droits de l’Homme.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Dominique Curis est coordinatrice défenseurs des droits humains pour l’ONG Amnesty International France.

>> Pétition de soutien à Yolanda Oquelí

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