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Le prix des images du conflit en Centrafrique

Le 12 décembre, Nicolas Bertrand, envoyé spécial de France 2 en République Centrafricaine (RCA), twittait : « Une foule en colère était venue lyncher 5 musulmans invités dans une église pour réconciliation. La FOMAC a dû tirer pour leur sauver la vie. Nous étions au milieu. Belle frayeur. All safe. Thanks ». Ils étaient donc, lui et son équipe « au milieu ». Et parce qu’ils étaient au milieu, comme d’autres journalistes, nous avons eu, dès les premières heures de l’opération, une multitude d’images à contempler. 

Des images des exactions, des cadavres jonchant les rues, des enfants se bouchant le nez pour ne pas sentir l’odeur de la mort. Des images, aussi, des militaires français entrant sur ce théâtre et en reprenant progressivement le contrôle. Cette fois-ci, ça n’est donc pas une « guerre sans image ».

Cette expression de « guerre sans image » a été répétée à l’envie, il y a seulement quelques mois, au début de l’opération Serval, au Mali. Les connaisseurs et les journalistes d’expérience étaient bien entendu capables d’expliquer le pourquoi de cette absence d’images : la nature même du terrain et de l’opération, radicalement différente de Sangaris en cours en RCA puisqu’il s’agissait d’une opération de guerre, rendait très difficile voire impossible la présence de caméras dans les premiers jours de l’action des troupes françaises. Mais comme souvent, l’explication argumentée, avec le temps, est passée à la trappe, et Serval demeure, dans les médias, « une guerre sans images ».

Le même poncif, donc, ne risque pas d’être répété à propos de Sangaris. Mais cette abondance d’images, devenue en notre époque de transparence un gage – illusoire ? – de bon fonctionnement de l’information, doit aussi susciter des interrogations et appelle des contreparties. La première d’entre elles est d’abord éthique car nous pouvons légitimement nous poser des questions face à la diffusion massive d’images de corps suppliciés.

La seconde contrepartie, c’est que la société prenne conscience des risques pris par les journalistes qui partent couvrir ce genre de terrain, lors d’une mission d’interposition des troupes françaises. Comme les militaires, ils s’y trouvent « au milieu ».  Au Mali, les journalistes ont suivi, peu ou prou, le mouvement de l’armée française. Comme le répètent souvent les communicants de la Défense, quand on fait la guerre, au moment où le combat survient, « on est toujours deux : nous, et puis l’ennemi ». C’est effectivement une réalité opérationnelle : quand des journalistes suivent une opération du type de Serval, lorsque les balles fusent, ils se retrouvent d’un côté ou de l’autre (en général, ils préfèrent se mettre sous abri français), rarement entre les deux. Ce qui n’enlève rien à la qualité de leur travail et aux risques qu’ils prennent. Ce qui ne préjuge en rien, non plus, de la volonté qu’ils ont d’aller voir ailleurs, de solliciter la parole des civils et de montrer ce qu’ils ne verraient pas s’ils restaient toujours sous protection de l’armée française. Il ne s’agit pas ici d’établir une hiérarchie entre le courage des uns et des autres et de juger du travail de ceux qui suivent les opérations extérieures françaises.

Les risques des missions d’interposition sont d’une nature différente, et les militaires les connaissent. Ils les connaissent si bien que deux d’entre eux sont déjà tombés en République Centrafricaine. Pour ces morts là, personne ne demande des comptes, ou alors seulement aux politiques qui ont décidé de l’opération. Si des journalistes y laissent leur vie, les comptes ne seront pas réclamés aux politiques, mais aux militaires, car l’armée est en partie devenue comptable du sort de ceux qui perdent la vie sur les terrains où elle intervient. Si des journalistes meurent en Centrafrique ce sera d’abord parce que des hommes et des femmes acceptent avec courage de prendre des risques pour l’exercice de ce métier particulier. Et beaucoup, le fond avec grand talent. Mais gardons en tête que leur présence sur ce terrain dangereux vient aussi du fait que notre société toute entière réclame à corps et à cris des images comme gages d’une information libre. Alors soyons prêts à en assumer le prix et demandons-nous s’il est toujours proportionné.

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