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L’OMC face à la crise du multilatéralisme

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JOL Press : Au regard de la multiplication des accords bilatéraux et de l’enlisement du « cycle de Doha », peut-on parler aujourd’hui d’une crise du multilatéralisme ?
 

Jean-Marc Siroën : Oui, certainement. Le multilatéralisme est incarné par l’Organisation mondiale du commerce, qui a d’énormes difficultés, c’est le moins que l’on puisse dire, pour promouvoir et aboutir à de nouveaux accords de libre-échange. Le dernier accord de libéralisation multilatéral, date maintenant de vingt ans. Il s’agit de l’acte final du cycle d’Uruguay, signé en 1994 à Marrakech.

JOL Press : D’après vous, comment peut-on expliquer cet échec de l’OMC à « imposer » le multilatéralisme ?
 

Jean-Marc Siroën : On peut l’expliquer par le nombre plus élevé de participants et également par le fait que ce qui était relativement mois difficile à obtenir, concernant la libéralisation dans les accords, a déjà été obtenu. On est maintenant dans le noyau dur de la négociation, c’est-à-dire que l’on traite de ce que l’on n’a pas voulu libéraliser ou traiter auparavant, ce qui est le plus délicat politiquement.

Il y a également le fait que les rapports de force ont changé. Les pays émergents revendiquent une place plus grande et ils se méfient beaucoup des pays industriels.

Par ailleurs, l’économie ne fonctionne plus comme il y a vingt ou trente ans. Les choses ont beaucoup changé alors que le programme reste sur une problématique qui était celle d’il y a trente ans. Je pense notamment à l’agriculture, où on est passé de politiques commerciales qui créaient des surproductions et des baisses des prix, à une réalité où on est plus en sous-production, avec une hausse des prix. Donc, évidemment, les négociations ne peuvent pas être les mêmes avec un contexte radicalement différent.

JOL Press : Le fonctionnement actuel de l’OMC, avec une voix pour chaque pays, bloque-t-il également d’éventuels accords d’envergure ? 
 

Jean-Marc Siroën : Ce n’est pas vraiment une voix, un pays. En fait, c’est un pays, un droit de véto, parce que c’est la règle du consensus qui s’applique.

Un pays qui s’oppose est un pays qui bloque, quelle que soit sa taille. Ce n’est pas une règle de majorité dans laquelle chaque pays aurait une voix, c’est avant tout un droit de véto pour les presque 160 pays membres de l’OMC.

JOL Press : Le développement des accords bilatéraux n’est-il pas problématique dans la mesure où les petits pays en sont exclus, jugés insuffisamment intéressants par les grandes puissances ?
 

Jean-Marc Siroën : Effectivement, c’est problématique. Par définition, un accord bilatéral exclue d’autres pays des avantages qu’il procure, donc c’est une philosophie tout à fait différente de celle du multilatéralisme. Il est vrai que les petits pays ne sont pas forcément les plus intéressants dans la négociation, et qu’on préfère, en général, négocier avec des pays qui présentent un enjeu plus important.

Il faut tout de même nuancer cet état de fait puisque, par exemple, l’Union européenne négocie des accords de libre-échange, appelés accords de partenariat économique, qui ne se limitent pas au libre-échange mais dont le libre-échange est un élément important, avec des pays africains très pauvres.

JOL Press : Le règlement des litiges et différents entre pays représente-t-il, à l’heure actuelle, le rôle principal de l’OMC ?
 

Jean-Marc Siroën : C’est devenu son principal rôle, effectivement. C’est un rôle important, qui est d’ailleurs un vrai succès pour l’organisation puisque plus de 400 cas ont été portés depuis la création de l’OMC. Ils sont traités d’une manière relativement équitable, c’est-à-dire que les grandes puissances comme les Etats-Unis ou l’Union européenne sont souvent plaignants, mais sont aussi souvent mises en cause et peuvent perdre.

Le bémol, c’est que les petits pays peuvent difficilement intervenir à l’OMC. Se défendre à l’OMC est couteux et demande beaucoup d’expertise. C’est la principale limite du mécanisme.

JOL Press : Il est reproché à Pascal Lamy de ne pas être parvenu à relancer le  cycle de Doha, peut-il vraiment être tenu pour responsable ?
 

Jean-Marc Siroën : Je pense qu’il ne faut être trop injuste vis-à-vis de Pascal Lamy, qui a hérité d’un programme de Doha, qui était, sans doute, un pari impossible. Il a déployé beaucoup d’énergie pour essayer de sortir de l’impasse.

JOL Press : Pensez-vous qu’un accord sera trouvé à Bali, même à minima ? Dans le cas d’un échec, quelles seraient les conséquences pour l’organisation ?
 

Jean-Marc Siroën : De toute façon, si accord il y a, ce sera à minima. Cela ne concernera que très peu de choses, essentiellement la facilitation du commerce, ce qui n’est pas le plus important et le plus stratégique.

Si les pays ne parviennent pas à un accord, même à minima, le cycle de Doha serait très compromis. Il y aurait là, une vraie crise à l’OMC.

JOL Press : On repartirait alors sur un nouveau cycle moins amitieux ?
 

Jean-Marc Siroën : Il y aurait une période de réflexion, peut-être sur une révision des procédures de négociation, avec l’étude d’alternatives possibles, notamment promouvoir des accords qui ne seraient plus complètement multilatéraux, sans être pour autant bilatéraux, mais dits plurilatéraux. Cela permettrait d’éviter le problème du consensus, ce qui à mon avis, rendrait le mécanisme bien plus simple. Il y a un certain nombre de voies possibles qui remettraient à plat le mode de négociation tel qu’il a été pratiqué depuis la création du Gatt.

Propos recueillis par Rémy Brisson pour JOL Press

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