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L’UE n’est pas autorisée par l’ONU à intervenir en Centrafrique

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JOL Press : Le ministre français des Affaires étrangères a annoncé que certains pays européens allaient envoyer des troupes au sol en Centrafrique, en soutien des troupes françaises. Que sait-on, pour le moment, de l’ampleur de cette intervention étrangère ?
 

Général Jean-Claude Allard : La résolution du Conseil de sécurité ne prévoit pour l’instant qu’une autorisation de recours à la force pour les seules forces de la Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous conduite Africaine (MISCA) et pour la France. Il y a donc un argument juridique à lever si les Européens voulaient participer au sol.

Leurs contributions se font actuellement sous la forme d’avions, qui auront naturellement des équipes au sol pour l’entretien des aéronefs. Ces équipes qui seront stationnées à l’aéroport de M’Poko à Bangui ne seront pas combattantes.

Actuellement, nous savons que les Polonais fourniront un avion C-130 Hercules, comme les Espagnols qui déploieront un C-130 à Ndjamena, au Tchad, ou à Libreville, au Gabon avec 70 personnes pour le soutenir. Les Belges vont également déployer un  C-130 à Libreville à la fin du mois de janvier.

Ces avions pourront assurer le transport dit « tactique » entre les pays de la région vers Bangui et dans toute la Centrafrique.

Pour les transports dits « stratégiques », qui circulent depuis la France vers la Centrafrique, les Britanniques fournissent un C-17, les Belges 4 rotations de A330. Ces avions peuvent se poser soit à Bangui soit dans un pays de la région puis leur fret transféré par avion tactique sur Bangui.

JOL Press : L’intervention de la France, seule, en République centrafricaine a relancé le débat de la construction d’une armée européenne. Si elle existait, à quoi ressemblerait une telle armée ?
 

Général Jean-Claude Allard : L’intervention de la France seule a surtout montré que la décision d’engagement de la force militaire est un acte de pleine souveraineté, donc il ne peut y avoir d’armée que sous les ordres d’une seule autorité politique. L’armée européenne n’existera que s’il y a un État européen, unique, fédéral ou confédéral.

En son absence, il y a une Union européenne qui est une union d’États souverains sur la plupart des sujets et principalement de la défense. Les questions de défense ne peuvent être réglées en commun que sur la base d’accords, plus souvent d’ailleurs bilatéraux ou multilatéraux que commun à l’ensemble des pays de l’Union européenne.

Nous avons donc des accords de ce type, pour le commandement du transport aérien par exemple. Une instance de direction qui gère les avions de l’Allemagne, la France, le Benelux a été mise en place. Cet EATC (european air transport command) est l’exemple le plus abouti d’intégration européenne. Cependant, chaque pays garde la responsabilité de décision de participer ou non à une opération donnée. Ce n‘est donc pas réellement une armée européenne.

Cet EATC est possible parce qu’il s’agit de moyens aériens qui ne sont pas censés aller au combat. Dès lors qu’il s’agit de forces terrestres, la situation est plus compliquée. La brigade franco-allemande, par exemple, ne part pas en opération commune. En Afghanistan, lorsque les Allemands vont dans leur zone, les Français vont dans la leur.

JOL Press : Cette armée européenne, si elle existait, ne serait-elle pas seulement représentative des pays riches de l’Union européenne et donc de leurs intérêts ?
 

Général Jean-Claude Allard : Certainement, c’est d’ailleurs l’une des raisons en plus de la première évoquée qui fait que les petits pays hésitent dans la coopération.

Les grands voudraient les intégrer pour avoir de l’apport en moyens, humains et matériels, mais les petits ne veulent pas se faire absorber.

Conclusion, sans Europe politique, il ne peut y avoir d’armée intégrée.

JOL Press : En termes d’interventions étrangères et dans la mesure où tous les pays européens ont leurs propres partenaires et intérêts dans chaque pays, comment pourrait se décider une intervention ? Par exemple en Centrafrique, où l’Europe n’a pas vraiment d’intérêts économiques ?
 

Général Jean-Claude Allard : L’Europe fonctionne en fait comme les Nations unies, mais sans conseil de sécurité. Il faut obtenir que des pays soient prêts à s’engager dans une action et acceptent de le faire sous le drapeau de l’Union européenne pour qu’il y ait véritablement une opération européenne.

Dans le cas de la Centrafrique, parce que la France est partie seule au départ, les autres pays européens ont maintenant du mal à accepter de suivre le mouvement.

Certains estiment également que les coûts d’une opération, tel que le Mali ou la Centrafrique, pourraient être mutualisés au niveau européen, ou au moins être décomptés des 3% de dette autorisée par l’Europe pour chaque pays membre. La mise en place d’une telle politique est-elle faisable ?

 

Général Jean-Claude Allard : Actuellement il n’y a pas de mécanisme de financement des opérations militaires conduites par un pays membre, sans décision préalable de l’Union européenne, comme cela a été le cas au Mali et en Centrafrique.

Si l’opération est décidée au niveau européen, le mécanisme Athena finance une partie des  « coûts communs » comme, par exemple, les surcouts des quartiers généraux, les frais de mission du commandant de l’opération.
Pour le principe « qui participe paye sa participation », nous constatons bien que cela peut constituer un frein à l’engagement de force.  

Seuls existent des budgets pour une gestion civile de crises (budget PESC, instrument de stabilité, aide humanitaire) ou pour aider aux opérations africaines (facilité pour la paix en Afrique qui intervient sur AMISOM, MISMA, MICOPAX, MINUSMA), ce dont bénéficie en Centrafrique la MICOPAX (aujourd’hui MISCA).

La mise en place d’un fond européen pour financer tout ou partie des coûts de participation à une OPEX est donc une proposition qui a du sens. Mais attention, déjà pour les GTUE, ce besoin avait été évoqué et aucune solution satisfaisante trouvée.

Par ailleurs il faudra définir les conditions dans lesquelles ce budget sera abondé, dans quelles conditions il sera utilisé. Cela ne garantira pas nécessairement une meilleure participation, car si aujourd’hui un pays ne veut pas participer, il s’abstient. Avec un tel fond, même en s’abstenant, il sera mis à contribution financièrement, ce qui peut ne pas être de l’avis de tous. Cette mesure devra donc faire l’objet de longues discussions avant d’aboutir.

 

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

 

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