Site icon La Revue Internationale

Marche pour une révolution fiscale: Mélenchon à la peine

[image:1,l]

Une « marche pour une révolution fiscale » est organisée ce dimanche 1er décembre à Paris par le Front de gauche. « Cette manifestation aura lieu au moment du vote du budget d’austérité auquel nous nous opposons », expliquent les initiateurs de la mobilisation. « Cette politique continue à entraîner le pays dans la stagnation économique, elle amène toujours plus de chômage et de licenciements ».

« La colère populaire contre les conséquences de l’austérité est juste et légitime. La droite, le Medef, l’extrême droite essaient aujourd’hui de la dévoyer. Leurs objectifs n’ont rien à voir avec les intérêts du peuple : il ne faut pas les laisser faire », dénoncent-ils. « Il est temps pour ceux qui ont voulu la défaite de Nicolas Sarkozy et enragent de voir sa politique continuer à être appliquée, de se mobiliser le plus largement possible dans l’unité. »

A l’origine de cette manifestation, Jean-Luc Mélenchon. Plus remonté que jamais contre la politique gouvernementale, il l’assure : « Nous serons nombreux » à marcher sur Bercy ce dimanche. Mais le coprésident du Parti de Gauche a-t-il encore une importante capacité à rassembler ? C’est la question que nous avons posée à Alain Bergounioux, historien du mouvement socialiste et cadre du PS. Entretien.

JOL Press : Jean-Luc Mélenchon a-t-il encore une importante capacité à rassembler ? On pense au meeting à la Bastille en mars 2012…

Alain Bergounioux : Je ne crois pas. Il veut rassembler sur un thème négatif. Proposer une marche de ras-le-bol fiscal, ce n’est pas la même chose que de proposer un projet avec un mot d’ordre positif. Cette démarche est d’autant plus ambiguë que la gauche est aussi un instrument de redistribution, dénoncer les impôts n’est pas le comportement habituel de la gauche. Mais peut-être pense-t-il que ce thème est fédérateur.

JOL Press : Quand, en parlant des « Bonnets rouges », il déclare : « Les esclaves manifestent pour les droits de leurs maîtres », ne se coupe-t-il pas d’un électorat potentiel ?

Alain Bergounioux : Cette phrase met en lumière sa contradiction. Les « Bonnets rouges » ont été largement animés par le petit patronat local de l’agroalimentaire orientés volontairement sur les thèmes « anti-Paris » et « révolte fiscale ». Jean-Luc Mélenchon les condamne et dénonce la « bêtise régionaliste ». Il n’hésite pas à traiter les manifestants de Quimper d’ « esclaves », ce qui est assez grotesque, c’est un vocabulaire de mépris qui n’est pas justifié. Il condamne une révolte fiscale et lui-même prend la tête d’une autre. Ce n’est pas cohérent. Je ne pense pas que, par conséquent, son message soit tout-à-fait audible.

JOL Press : Comment expliquer la différence de popularité de près de 20 points entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ?

Alain Bergounioux : Marine Le Pen est plus populaire car, certes, elle ne fait pas dans la nuance mais elle est du côté de la contestation et son message est beaucoup moins contradictoire que celui de Jean-Luc Mélenchon. Jean-Luc Mélenchon mène la contestation à partir de la gauche en ne prenant pas à compte de certaines valeurs de gauche comme la redistribution fiscale, par exemple. Son message est beaucoup moins clair et beaucoup moins cohérent que celui du Front national.

JOL Press : C’est pour cette raison que les déçus de François Hollande ne se tournent pas vers Jean-Luc Mélenchon, selon vous ?

Alain Bergounioux : Je pense malheureusement que les déçus de François hollande se tourneront vers l’abstention. Jean-Luc Mélenchon, en plus de tenir un discours contradictoire, ne donne pas l’impression de proposer de politique alternative. Il aura donc du mal à séduire les électeurs socialistes. Il faut quand même rappeler qu’il a été ministre mais la politique qu’il propose ne paraît pas assez crédible pour être incarnée par un gouvernement. C’est une grande faiblesse.

JOL Press : « Si vous être contre l’immigré, votez Marine Le Pen, si vous êtes contre le banquier, votez pour moi », aime répéter Jean-Luc Mélenchon dans les médias. N’est-ce pas un peu simpliste comme vision politique ?

Alain Bergounioux : Cette phrase illustre parfaitement ce que je disais plus haut. Sa vision politique est, en effet, trop simpliste, c’est aussi pour cette raison qu’il ne paraît pas crédible. Il est installé sur une contradiction et il n’arrive pas à en sortir.

JOL Press : Jean-Luc Mélenchon a déclaré que le ministre de l’Intérieur était « contaminé par les idées du Front national », dans sa gestion de la question Rom. Une bonne stratégie, selon vous ?

Alain Bergounioux : Là encore, ce discours ne fonctionne pas. Jean-Luc Mélenchon fait un mauvais usage des mots et des idées. Les Français ne pensent pas que Manuel Valls ait été « contaminé par les idées du Front national ». Il utilise des mots lourds de sens qui ne sont pas adaptés à la situation et refait la même erreur que ceux qui, en 1958, à gauche, parlaient de « barrer la route à la dictature et au fascisme », à l’égard du général de Gaulle. Ce discours excessif n’a pas fonctionné car les Français savaient très bien qui était le général.

JOL Press : Comment peut-il faire pour être à nouveau entendu avant 2017 ?

Alain Bergounioux : Il faudrait qu’il rende son discours plus cohérent, c’est d’ailleurs ce que lui disent ses camarades communistes. Il devrait se situer vraiment à gauche, sans flirter avec le populisme. Tant qu’il sera dans ce positionnement, il est évident que ses contradictions l’emporteront sur sa capacité à mobiliser. Il peut espérer faire un score convenable aux Européennes, bien qu’il doive s’entende avec le Parti communiste sur les têtes de liste, mais aux municipales ses chances de convaincre sont faibles.

J’ai l’impression que ses talents de tribun l’on un peu emporté trop loin. Il a été grisé par les foules qu’il a réussi à rassembler pendant la campagne mais la politique ne se résume pas au verbe.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Inspecteur général de l’Éducation nationale, historien, il est directeur de la Revue socialiste et professeur associé à Sciences Po Paris. Il a publié Les Socialistes (Le Cavalier bleu, coll. « Les Idées reçues », 2010) et Les Socialistes français et le Pouvoir. L’ambition et le remords, avec Gérard Grunberg (Hachette Littératures, 2005). Il est membre du conseil d’administration de la Fondation Jean-Jaurès et préside l’Office universitaire de recherche socialiste.

Quitter la version mobile