Malgré les protestations d’une partie de l’opposition, l’ancien ministre tunisien de l’Industrie, Mehdi Jomaâ, a été choisi samedi 14 décembre pour reprendre la tête du gouvernement. Après des mois de tractations politiques, la Tunisie s’est dotée d’un Premier ministre technocrate, chargé de formé un gouvernement d’indépendants et de conduire le pays vers des élections pour le sortir de la profonde crise politique dans laquelle il est englué depuis près de trois ans.
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Samedi 14 décembre, après deux mois de tractations, une brèche a été trouvée dans le mur politique devant lequel se trouvait la Tunisie.
« Le dialogue n’a pas échoué »
L’UGTT – la principale organisation syndicale tunisienne – et les trois autres organisations formant le quartet chargé de superviser les négociations du « dialogue national », ont annoncé samedi soir avec satisfaction le nom du nouveau Premier ministre, après des semaines de négociations.
Mehdi Jomaâ, qui occupait depuis mars dernier le poste de ministre de l’Industrie au sein du gouvernement mené par le parti islamiste Ennahdha, a été choisi pour succéder à Ali Larayedh. « Notre peuple a beaucoup attendu, mais malgré les difficultés et les entraves […], ce dialogue n’a pas échoué », a déclaré samedi soir Houcine Abassi, secrétaire général de l’UGTT, avant d’ajouter : « Félicitations à la Tunisie ».
La nomination de Mehdi Jomaâ samedi fait suite à deux mois de dialogue national décousu et de négociations chaotiques entre les différents partis, qui n’avaient jusque-là pas réussi à se mettre d’accord sur le nom du futur Premier ministre.
Un industriel indépendant
Ce technocrate sans appartenance partisane, âgé de 51 ans, sorti diplômé de l’École nationale d’ingénieurs de Tunis en 1988 avant d’obtenir un diplôme supérieur de mécanique (DEA), est relativement peu connu du grand public.
Après avoir entamé une carrière dans le secteur privé et occupé le siège du directeur d’une division d’Hutchinson – une filiale de Total spécialisée dans l’industrie aérospatiale – cet industriel chevronné, père de cinq enfants, n’a pas occupé de poste politique sous l’ère de l’ancien président tunisien Ben Ali, déchu en janvier 2011.
Cet indépendant a été propulsé à la tête du ministère de l’Industrie en mars 2013, en pleine crise politique, par le Premier ministre fraîchement élu Ali Larayedh, après le changement de gouvernement suite à l’assassinat de l’opposant Chokri Belaïd.
Un choix qui ne fait pas l’unanimité
Parmi les 21 partis représentés samedi lors de la soumission du choix du futur Premier ministre, Mehdi Jomaâ a notamment bénéficié du soutien du chef du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi.
« Nous avons accepté un gouvernement apolitique alors même que le gouvernement d’Ali Larayedh a la majorité [à l’Assemblée nationale constituante]. Le but est de mener la Tunisie vers la démocratie », a souligné M. Ghannouchi. « La Tunisie est le premier pays à avoir connu une révolution [en janvier 2011] et elle sera le premier à être un modèle démocratique », a-t-il ajouté.
Mais dans les rangs de l’opposition, l’heure n’est pas au consensus, et certains critiquent le choix de cet ancien ministre qui, bien qu’apolitique, a fait ses armes au sein du gouvernement islamiste. Le principal parti Nidaa Tounès a notamment boycotté le vote.
« On ne peut pas choisir comme chef du gouvernement un membre du gouvernement sortant », a déclaré Issam Chebbi, un des leaders du Parti Républicain (Al Joumhouri). « Ce ne sera pas un premier ministre de consensus », a-t-il ajouté.
Une lourde tâche
Une fois à la tête du gouvernement, Mehdi Jomaâ devra former un nouveau cabinet apolitique et aura la lourde tâche de sortir la Tunisie de près de trois ans de crise politique, aggravée ces derniers mois par l’assassinat des opposants Chokri Belaïd en janvier dernier et de Mohamed Brahmi en juillet.
Il devra notamment conduire son pays vers de nouvelles élections en 2014 et amorcer le processus d’adoption d’une nouvelle Constitution, en friche depuis deux ans.
Alors que le pays traverse, en plus de la crise politique, une crise économique et sécuritaire de taille, certains s’interrogent néanmoins sur la capacité du nouveau chef de gouvernement à mener à bien ces réformes.
Dans un article intitulé « Mehdi Jomaâ est-il mal parti ? », L’Économiste maghrébin se demande ainsi si le nouveau Premier ministre « sera à la hauteur des enjeux qu’il aura à relever ». Car « si tout le monde loue [depuis samedi] son « impartialité » et ses quelques faits d’armes dans ce domaine […] on commence déjà à évoquer son expérience somme toute limitée au niveau de la gestion gouvernementale et son peu de rayonnement – du moins présumé – à l’international », souligne le site d’actualité.