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«Nous sommes dans Minority Report»

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JOL Press : De nouveaux réverbères ont été installés à Las Vegas appelés « Intellistreet ». Ils peuvent  enregistrer des images, des conversations et des visages. Ils peuvent communiquer entre eux ou avec des dentres de traitement de données via le Wifi, et même alerter la police. De tels dispositifs sont-ils une nouveauté par rapport à ce qui existait déjà ?
 
Jean-Marc Manach : Voilà deux ans que j’ai entendu parler de ces « Intellistreet . Technologiquement, ce n’est pas nouveau. C’est une agrégation de plusieurs bribes technologiques déjà utilisées séparément par le passé. Des outils semblables existent déjà en Grande-Bretagne, où des hauts-parleurs permettent d’interpeller directement les gens dans la rue. Des dispositifs à ultra-sons audibles uniquement par les jeunes sont également utilisés, afin de les éloigner de certains endroits. 
 
C’est avant tout une question de budget. Il serait impossible aujourd’hui de les faire installer en France. Nous en sommes au stade des caméras. Mais personne n’est capable de dire exactement combien sont installées. Il y eu une explosion du nombre de caméras, puisqu’on en dénombrerait environ 1 million sur la voie publique. Celles-ci doivent, théoriquement, être déclarées. Malheureusement, les chiffres avancés par la Préfecture et ceux du ministère sont totalement différents. On n’est donc pas en mesure d’avoir des chiffres exacts.
 
J’étais cette semaine à l’émission Arrêts sur Image, où nous débattions de ces questions. Alain Bauer déclarait qu’à l’exception de celles de Paris, la quasi-totalité des caméras de surveillance implantées en France l’avaient été n’importe comment. C’est-à-dire sans vraiment les répertorier. Les défenseurs de la vidéosurveillance disent que c’est efficace, mais il n’existe pas de moyen de le vérifier. 
 
JOL Press : Pourtant, Christian Estrosi, maire de Nice, expliquait récemment que, dans sa ville, les quelque 900 caméras installées avaient permis la résolution d’environ 700 enquêtes. Ce n’est pas négligeable…
 
Jean-Marc Manach : J’ai fait une étude sur Nice il y a deux ans. A l’époque le Maire y avait créé un observatoire de la sécurité, qui  avançait le nombre de personnes arrêtées grâce à la vidéosurveillance. En calculant le ratio, le chiffre est de 0,8 personne arrêtée par an, grâce à chaque caméra. A la suite de mon enquête, ils ont arrêté de publier les chiffres… 
 
Heureusement que ces caméras permettent tout de même d’identifier des délinquants et de les arrêter ! Et encore, Nice est un cas à part : c’est l’une des seules municipalités de France où des agents travaillent, en permanence, derrière les écrans, à analyser les images envoyées par les caméras. Dans la plupart des autres villes, le traitement des données est utilisé après coup, et ne permet donc pas d’intervention rapide, ou d’action en temps réel.  Depuis, 1995, une loi régit cette vidéosurveillance et l’utilisation des données qu’elle transmet. Après presque 20 ans, on n’a toujours pas d’outil statistique pour répondre – ou non – de leur efficacité ! 
 
JOL Press : Si leur efficacité chiffrée n’est pas démontrée, comment peut-on néanmoins nier leur utilité ? Ces caméras de surveillance ont par exemple permis de retrouver très rapidement Abdelhakim Dekhar, qui ouvrait le feu en pleine journée dans une banque, ou un journal…
 
Jean-Marc Manach : C’est un exemple. Mais un succès peut-il justifier un tel investissement ? De plus, les caméras ne doivent pas remplacer les agents de prévention de la délinquance, qui œuvrent sur le terrain. Or le budget alloué à ces groupes de prévention a été transféré partiellement, sous Nicolas Sarkozy, à la vidéosurveillance. L’ancien Président a augmenté le budget destiné à ces installations publiques, tout en supprimant 13000 postes de policiers ! L’argent doit évidemment être mieux utilisé. Si personne n’est là pour étudier les images de la caméra et les traiter, ça ne sert à rien. Les délinquants sont arrêtés par des policiers, non par des caméras. Il en va de même pour la prévention. 
 
Même Alain Bauer, qui n’est pas franchement hostile à la vidéosurveillance, parle de « fétichisme technologique ». Il milite d’ailleurs, comme nous tous, pour la mise en place de statistiques, afin que l’on sache si les caméras sont vraiment utiles ou non.
 
Mais gardons à l’esprit que le premier effet de la vidéosurveillance n’est que de déplacer la délinquance : un délinquant va s’écarter du champ de la caméra s’il veut commettre un délit. Par ailleurs, les caméras ne peuvent toujours permettre l’identification, faute d’une résolution suffisante.
 
JOL Press : Si l’on suit cette progression technologique, quelles peuvent êtres les innovations de demain en termes de vidéosurveillance ? Peut-on arriver à un mélange de 1984 et Minority Report, avec une surveillance a priori des délinquants, fondée sur une analyse comportementale ?
 
Jean-Marc Manach : On n’est pas vraiment dans 1984, où un dictateur surveille tout et tout le monde pour asseoir son pouvoir totalement centralisé. Aujourd’hui nous avons plusieurs petits chefs de 1984, avec la NSA, la DGSE…
Mais l’histoire de Minority Report (NDLR : des « voyants » permettent de savoir qui va commettre un crime dans les heures ou jours à venir) est dans la même logique.
 
A Milan ou Philadelphie, de tels dispositifs existent déjà, avec un système de compilation de données. Il analyse la probabilité statistique d’un risque de délit ou de crime à tel endroit. Nous sommes dans Minority Report, sauf que ce ne sont pas des gens qui anticipent mais des logiciels, qui analysent des comportements.
 
Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press
 
 
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