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Présidentielle chilienne: «Changer la Constitution héritée de la dictature»

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JOL Press : Quels sont les enjeux de cette élection présidentielle ?
 

José Maldavsky : C’est la première fois depuis la fin de la dictature que nous faisions face à un gouvernement de droite. Un retour du parti d’anciens collaborateurs de la dictature, puisque l’alliance qui gouverne aujourd’hui le Chili est composée de deux formations politiques, dont une gérée par d’anciens ministres d’Augusto Pinochet. L’enjeu fondamental aujourd’hui, c’est qu’au-delà d’un retour du centre gauche, avec ce qu’on appelle la Nueva Mayoria – la Nouvelle Majorité –, il faut que des réformes soient mises en œuvre pour changer celles héritées de la dictature.

JOL Press : Le changement de Constitution est-il un passage obligé pour tourner la page la plus sombre de l’histoire du Chili ?
 

José Maldavsky : Le changement de la Constitution qui date de la dictature est primordial. La Constitution actuelle ne permet qu’aux partis importants d’élire les représentants de la chambre des députés et du Sénat. C’est un héritage de la dictature. Les minorités et petits partis ne sont donc pas représentés. Mais pour changer la constitution il faut faire appel à une assemblée constituante et compter sur les deux tiers  de l’assemblée nationale et du Sénat.  Et pour l’instant Michelle Bachelet ne les a pas… Pour cela il faudra qu’elle négocie cela avec la droite modérée. 

 
JOL Press : Le Chili est secoué depuis deux ans par une contestation étudiante. Les jeunes réclament une réforme du système éducatif. Que propose Michelle Bachelet ?
 

José Maldavsky : Michelle Bachelet s’est engagée à accepter les réformes demandées par les étudiants : la gratuité de l’éducation. Cela fait deux et ans et demi que les étudiants manifestent. Ce mouvement est massivement soutenu : 80% de la population chilienne soutient les revendications des étudiants. Le système éducatif actuel est également hérité de la dictature de Pinochet, qui a privatisé l’éducation. Les universités privées sont très chères, uniquement à la portée des riches.<!–jolstore–>

JOL Press : Quels sont les autres grands défis qui attendent la future présidente ?
 

José Maldavsky : Il y a également la question de la réforme fiscale. Le Chili enregistre les plus grandes inégalités au monde. C’est un pays doté d’une croissance de 5,7% qui favorise les hommes les plus riches comme l’actuel président de la République Sebastian Pinera, l’un des hommes les plus fortunés du monde.

Une autre loi héritée d’Augusto Pinochet:  10% du revenu du cuivre – la richesse la plus importante du Chili – continue de directement revenir l’armée. Michelle Bachelet s’est engagée à changer toutes ces choses.

JOL Press : Plus de 20 ans après la chute de la junte militaire, le pays est-il encore divisé ?
 

José Maldavsky : La candidate de l’opposition Michelle Bachelet a obtenu plus de 47%, et la candidate de droite 25%. Les partis à gauche ont quant à eux obtenu 12% des suffrages exprimés. Cette division du pays en deux est donc illusoire. Je ne sais pas combien de voix la candidate du centre-gauche obtiendra au deuxième tour, étant donné que beaucoup de gens sont déçus de la politique et que l’on redoute une forte abstention. Le gouvernement actuel s’est beaucoup discrédité, mais la droite n’est pas négligeable au Chili. La droite n’est pas un bloc, elle est elle-même divisée : une partie de la droite ne veut pas de la dictature, comme Sebastian Pinera qui a voté contre Augusto Pinochet au dernier référendum de 1988. 

JOL Press : Le Chili commémorait en septembre dernier les 40 ans de la mort de Salvador Allende, et du coup d’Etat militaire. Les cicatrices qu’a laissées la dictature d’Augusto Pinochet sont-elles encore ouvertes aujourd’hui ?
 

José Maldavsky : Cela fait plus de 30 ans que j’habite en France. Ma réponse est donc celle de quelqu’un qui ne vit plus au Chili depuis longtemps, même si je suis encore en contact avec les gens là-bas, et que je lis quotidiennement les infos chiliennes. J’ai l’impression que c’est un pays encore blessé. C’est un pays qui n’a pas encore puni tous les responsables de la torture et de violations des droits de l’homme. Certains sont en prison, mais d’autres toujours en liberté. Il y a des films sur la dictature, dont les miens, qui sont encore censurés au Chili aujourd’hui.

JOL Press : Les années noires de la dictature sont-elles encore taboues au Chili ? 
 

José Maldavsky : Une partie non négligeable de la population aborde les crimes commis pendant la dictature, et permet, par son combat, d’emprisonner un certain nombre de responsables et de restaurer la dignité du pays. Mais il reste encore beaucoup de travail. Les juges qui ont collaboré pendant la dictature leur mettent des bâtons dans les roues et retardent les procès. Au Chili, il n’y a pas eu une volonté politique de tous les gouvernements post Pinochet de juger les responsables des droits de l’homme. C’est grâce á la société civile que quelques uns ont été trainés en justice et condamnés.

Aussi, comme en France à l’époque de la guerre, beaucoup de personnes ayant collaboré pendant la dictature, tout simplement par leur silence, voudraient tourner la page. Il ne faut pas non plus oublier que le Chili a continué d’être gouverné par une économie ultra-libérale imposée par la dictature: toute une bourgeoise enrichie dit vouloir tourner la page et punir les responsables, mais en réalité ne fait rien pour que cela se fasse. C’est une contradiction qu’on ne trouve pas qu’au Chili mais partout dans le monde.

JOL Press : Le Chili pourra-t-il un jour être réconcilié avec son histoire ?
 

José Maldavsky :  Je pense qu’il faudra plusieurs générations pour que les Chiliens retrouvent une certaine paix intérieure. Michelle Bachelet n’aura que 4 ans devant elle et ne pourra pas réconcilier le pays avec un laps de temps si court. D’autre part, il ne s’agit pas pour moi d’un problème de réconciliation : on peut pardonner, mais nous ne pouvons pas oublier ce qu’il s’est passé sous la dictature. Nous venons d’avoir un exemple fort avec la mort de Nelson Mandela, qui est un homme qui pardonne mais qui n’oublie pas. Ce qui importe n’est d’ailleurs pas la réconciliation, mais d’arriver à construire un avenir avec tous ces obstacles. 

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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