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QPC – L’interdiction du voile intégral est-elle constitutionnelle?

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Ce mercredi est examinée, la première QPC (question prioritaire de constitutionnalité)  sur le voile intégral à l’occasion du procès de Cassandra Belin, dont l’interpellation, en juillet dernier, avait déclenché des émeutes à Trappes. Son avocat, Me Philippe Bataille, explique ce qu’il espère obtenir des magistrats. Entretien.

JOL Press : Qu’espérez-vous obtenir de cette QPC ?

Me Philippe Bataille : Cette QPC n’a pas encore été jugé. Je l’ai déposée à la dernière audience. Cassandra Belin, ma cliente, a été contrôlée en vertu de la loi de 2011 qui stipule que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». La QPC vise donc à rendre inconstitutionnelle cet article de la loi, qui interdit le voile intégral dans l’espace public, pour un certain nombre de raisons.

Avant même que cette loi ne soit promulguée, les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale avaient saisi le Conseil constitutionnel pour qu’il donne son avis sur le caractère constitutionnel de cette loi. Dans une décision qui date d’octobre 2010, avant le vote de la loi, le Conseil avait estimé que cette loi était conforme à la Constitution. C’est pour cette raison que le parquet de Versailles a requis l’irrecevabilité de cette question.

Cependant quand on regarde, cette décision dans le détail, on s’aperçoit que le Conseil constitutionnel a éprouvé cette loi au regard de trois articles de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, sur les libertés, et du préambule de la Constitution de 1946, sur l’égalité homme- femme. Le Conseil a, par ailleurs, émis des réserves sur les conditions dans lesquelles cette loi devait être étendue.

J’estime que le Conseil n’a pas éprouvé cette loi aux regards d’autres textes importants concernant son caractère discriminatoire – seuls les musulmans sont concernés par cette loi. L’article 34 de la Constitution stipule qu’une loi doit avoir une portée générale et non s’intéresser à des cas particuliers ou à une catégorie de la population. Le Conseil constitutionnel n’a pas su expliquer en quoi le voile intégral pouvait porter atteinte à l’ordre public et n’a pas confronté la loi au principe de la liberté d’aller et venir ou de liberté de culte. Il y a là une ouverture qui nous permettrait de ressaisir le Conseil constitutionnel.

JOL Press : Le parquet de Versailles a déclaré votre QPC irrecevable. Craignez-vous que le juge le suive ?

Me Philippe Bataille : Il faut que j’arrive à convaincre le juge, ce mercredi, que ma question peut être régulièrement transmise au Conseil constitutionnel et qu’elle n’est pas irrecevable. C’est un débat de droit public assez complexe mais je prendrai le temps de l’expliquer très simplement aux magistrats et au Parquet.

JOL Press : Vous dites que cette loi sur le voile intégral est liberticide. Pourquoi ?

Me Philippe Bataille : Je ne vois pas en quoi une femme intégralement voilée constitue un trouble à l’ordre public. Nous sommes en présence d’une loi de police. Une loi de police est là pour réprimer ou prévenir une infraction, mais je ne vois pas où est l’infraction. Je me place du point de vue des libertés individuelles, ni plus, ni moins. Par ailleurs, il faut souligner que cette loi n’est pas appliquée partout : quand des femmes intégralement voilées font des courses sur les Champs-Elysées, on se garde bien d’aller les verbaliser de peur de tomber sur des Saoudiennes ou des Qataries qui pourraient créer des problèmes.

JOL Press : Vous déclarez que cette loi peut entraîner des dérapages islamophobes de la part des policiers. Pouvez-vous nous expliquer ?

Me Philippe Bataille : Un des policiers qui a effectué le contrôle de ma cliente, à Trappes, a tenu des propos islamophobes sur Facebook. Si on met cette loi entre les policiers qui ont déjà des préjugés islamophobes et les femmes voilées, on comprend vite qu’on met dans leurs mains un outil qu’ils vont utiliser comme ils veulent. Le fondement et la pertinence de leur contrôle peuvent être parfaitement discutables. Ces contrôles peuvent même être interprétés comme de véritables provocations. Cette loi, dans les mains de policiers islamophobes, peut être lourde de conséquences.

JOL Press : Le cas de Cassandra Belin est-il isolé ?

Me Philippe Bataille : L’observatoire de la laïcité a fait le point, cet été, sur le nombre de verbalisation de femmes intégralement voilées, depuis l’entrée en vigueur de la loi. Il a compté entre 500 et 600 verbalisations. Comme, dans la plupart des cas les femmes ont été renvoyées devant des tribunaux de police ou des juges de proximité, il est vraisemblable qu’elles n’aient pas pris d’avocats et qu’elles se sont laissées verbaliser.

JOL Press : Quel est votre objectif, à terme ?

Me Philippe Bataille : Ce serait une grande victoire si le Conseil constitutionnel pouvait revenir ou se prononcer à nouveau sur ses dispositions. J’ai peu d’espoir car cela voudrait dire que le Conseil reconnaîtrait qu’il a mal fait son travail la première fois, mais je cherche avant tout à faire bouger les lignes. Je souhaiterais un nouveau débat public  qui puisse conduire le législateur à intervenir sur l’article 1er de cette loi. Déjà pendant les débats, la Commission nationale consultative des droits de l’homme avait dit que cette loi n’était pas bonne.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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