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Quel est l’état des relations entre l’exécutif et les partenaires sociaux?

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« Moi, président de la République, je ferai en sorte que les partenaires sociaux puissent être considérés, aussi bien les organisations professionnelles que les syndicats, et que nous puissions avoir régulièrement des discussions pour savoir ce qui relève de la loi, ce qui relève de la négociation.» La promesse de François Hollande a-t-elle été tenue cette année ?

Si l’accord du 11 janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi qui a permis la loi sur l’organisation des entreprises avait été précédé par une grande conférence économique et sociale, une défiance s’est peu à peu développée entre l’exécutif et les partenaires sociaux. Décryptage de Patrice Laroche, auteur de Gérer les relations avec les partenaires sociaux (Dunod). Entretien.

JOL Press : Jean-Marc Ayrault et François Hollande ont insisté sur l’importance des négociations avec les partenaires sociaux avant toute grande décision. Cet engagement a-t-il été tenu cette année ?

Patrice Laroche : On peut considérer que Jean-Marc  Ayrault et François Hollande ont respecté cet engagement.  En rupture avec la politique menée par Nicolas Sarkozy, François Hollande a d’emblée sollicité les partenaires sociaux et les a associés à un certain nombre de réformes. La grande conférence sociale qui s’est tenue quelques mois après son élection en juillet 2012 n’avait pas d’autre but que de marquer sa volonté de changer de méthode dans la conduite des réformes nécessaires à notre pays et de souligner l’importance du dialogue social, de la concertation et de la négociation.

La seconde conférence sociale organisée en juin 2013 s’est inscrite dans le prolongement de cette première conférence en mettant à nouveau l’accent sur la concertation pour mener les réformes sociales du gouvernement. Cela étant, on a aussi pu constater que le gouvernement a su faire passer des accords, notamment ceux sur la sécurisation de l’emploi de janvier 2013 qui n’ont pas fait l’unanimité parmi les syndicats de salariés. La méthode utilisée par François Hollande est sans aucun doute moins brutale que celle de l’ancien locataire du palais de l’Elysée, mais le gouvernement n’en reste pas moins déterminé lorsqu’il s’agit d’aboutir à un accord.

JOL Press : Cette année, nous avons assisté aussi à l’émergence de mouvements sociaux inédits, dans le domaine sociétal mais aussi social. Quelle place ont tenu les partenaires sociaux dans ces nouvelles formes de contestation ?

Patrice Laroche : Les partenaires sociaux ont finalement été assez peu présents dans ces nouvelles formes de contestation pour au moins deux raisons. La première est liée au fait que les syndicats de salariés sont de plus en plus déconnectés de leurs bases et ont souvent des difficultés à répondre aux nouvelles attentes des salariés. Les principaux syndicats nationaux ont, par exemple, été opposés à l’ouverture des magasins le dimanche alors qu’une partie des salariés concernés étaient plutôt en faveur d’une ouverture dominicale. La question du travail dominical n’est pas simple mais ce débat a été l’occasion de se rendre compte que le discours syndical ne passait pas nécessairement très bien auprès de certains salariés.

La seconde raison tient au fait que la plupart de ces mouvements sociaux exprimaient davantage un mouvement d’humeur et correspondaient à une profonde exaspération à l’égard du gouvernement. Dès lors, les syndicats se sont trouvé exclus de ces manifestations qui portaient sur des revendications plutôt corporatistes. Les syndicats ont d’ailleurs réagi en se mobilisant pour l’emploi et contre les « bonnets rouges » en novembre dernier à l’appel de la CFDT et de la CGT… avec un succès tout relatif.

L’enjeu est pourtant d’importance. En effet, ces mouvements déstructurés, ces coordinations, sont un terrain favorable aux éléments les plus radicaux et pour le gouvernement il est primordial que les syndicats puissent canaliser les revendications des manifestants et devenir leur porte-parole.

JOL Press : Le bras de fer tant redouté sur la réforme des retraites n’a finalement pas eu lieu. Une victoire pour les partenaires sociaux ou un manque d’audace du gouvernement ?

Patrice Laroche : Il s’agit selon moi d’un manque d’audace du gouvernement plus que d’une victoire des partenaires sociaux. En effet, le gouvernement a fait passer une réforme a minima de peur de subir les foudres du patronat et des syndicats. Les mesures prises ne seront d’aucun effet pour trouver les 20 milliards nécessaires pour combler le déficit des régimes de retraite à l’horizon 2020. Chacun y a trouvé son compte à court terme mais les problèmes n’ont pas été réglés et il faudra envisager de revenir sur cette question des retraites dans les années à venir.

JOL Press : L’exécutif a davantage pris en compte les revendications des entreprises, après un faux départ en début de quinquennat. Cette politique a-t-elle été bien vue des partenaires sociaux ?

Patrice Laroche : Il est vrai que l’exécutif a cherché à rassurer le patronat, notamment après le mouvement des « pigeons », ces entrepreneurs qui ont fustigé les réformes de la fiscalité induites par le budget 2013. Depuis, le gouvernement n’a de cesse de ménager les chefs d’entreprise en revenant sur certains projets de réforme, tout en prenant le risque de contrarier les organisations syndicales de salariés qui apprécient guère cette main tendue au patronat. Tout cela n’est donc pas sans effet sur les syndicats qui commencent à durcir le ton contre le gouvernement.

La CGT, par la voix de son secrétaire général Thierry Le Paon, a récemment interpellé le Premier ministre et fait part de son insatisfaction à l’égard de la politique menée par son gouvernement. Il lui rappelle notamment que son action ne peut être constamment influencée par les pressions politiques de la Commission de Bruxelles ou par celle du Medef et que la CGT entend bien participer au débat au même titre que les autres partenaires sociaux. Il faut aussi se rappeler que Laurence Parisot, alors présidente du Medef, et François Hollande s’étaient félicités de l’accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi et ce malgré l’absence de signature de la CGT et de FO. De quoi laisser un peu d’amertume chez les syndicalistes…

JOL Press : Quels chantiers attendent les partenaires sociaux pour l’année à venir ?

Patrice Laroche : Plusieurs chantiers attendent les partenaires sociaux à commencer par la réforme de la formation professionnelle dont tout le monde s’accorde pour dire qu’il convient de revoir un système qui privilégie finalement ceux qui en ont le moins besoin, c’est-à-dire les salariés les plus diplômés. Autre sujet d’actualité, le grand chantier de la réforme fiscale lancé par Jean-Marc Ayrault il y a quelques semaines et auquel ont été associés les partenaires sociaux. Certaines organisations syndicales ont déjà fait part de leur méfiance à l’égard du gouvernement et restent circonspectes sur une fusion IR/CSG qui pourrait remettre en cause le financement de la protection sociale.

A ces deux chantiers s’ajoutent celui de l’adaptation de la société au vieillissement qui devrait être voté avant la fin de l’année 2014 et de la prise en charge en maisons de retraite. Le gouvernement Ayrault entend mobiliser l’ensemble de la société et des partenaires sociaux sur ce sujet. Enfin, d’autres chantiers moins ambitieux mais peut être plus sensibles pour les partenaires sociaux autour de la représentativité patronale et de la qualité de vie au travail sont envisagés également. Autant dire que les sujets de discussions et de négociations entre les partenaires sociaux ne manqueront pas en 2014 !

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Docteur en sciences de gestion, Patrice Laroche est professeur à l’ESCP-Europe et a enseigné dans de nombreuses Universités en France et à l’étranger. Spécialiste des relations sociales en entreprise, il a été chargé de mission au sein du Groupe Alpha (Expert du CE).

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