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Union bancaire: une avancée indéniable mais incomplète

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JOL Press : Le premier pilier de l’union bancaire, la supervision des banques, est de loin celui qui a connu les avancées les plus rapides. Pourquoi était-ce nécessaire que cette derrière soit effectuée à l’échelle européenne, par un établissement indépendant ?
 

Jézabel Couppey-Soubeyran : Ce dispositif de supervision à l’échelle de la zone euro était une réelle nécessité. Il aurait d’ailleurs fallu le mettre en place bien plus tôt, lorsque le Système européen de banques centrales a été instauré. Mais même s’il arrive tardivement, sa concrétisation est à saluer tant il était indispensable de faire évoluer la supervision des banques. Jusqu’à présent, on avait des groupes bancaires qui avaient une activité déployée à l’échelle européenne, voire même au-delà, mais qui restaient supervisées au niveau national.

Avec l’union bancaire, l’enjeu est d’adapter l’échelle de la supervision à l’activité des établissements bancaires. Cela permet d’avoir des groupes bancaires moins disproportionnés parce que, comme l’a très bien montré le rapport Liikanen, lorsque l’on mesure le poids des établissements bancaires relativement au produit intérieur brut (PIB) de leur pays d’origine, on arrive à des proportions tout simplement effarantes. Pour le groupe BNP Paribas, c’est par exemple 100% du PIB français. Cela montre bien que l’échelle nationale n’est pas pertinente pour la supervision de ces établissements, mais également pour l’organisation d’éventuels sauvetages en cas de problème.

JOL Press : N’est-il pas problématique de constater que cette supervision européenne ne sera appliquée qu’aux très grandes banques de la zone ?
 

Jézabel Couppey-Soubeyran : Oui, il est évident que l’on n’est pas allé au bout de la logique. Le superviseur unique, qui sera la banque centrale européenne (BCE), ne supervisera que les 180 à 200 plus grands établissements bancaires. Les petits établissements, notamment les petites banques régionales, resteront eux sous la houlette des autorités nationales. C’est l’Allemagne qui a insisté sur ce point, sans doute du fait de ses petites banques régionales dont on dit qu’elles ne sont pas en très bonne santé financière et sur lesquelles Berlin voulait garder la main.

JOL Press : Les petits établissements que vous évoquez peuvent-ils également représenter un risque systémique ?
 

Jézabel Couppey-Soubeyran : Bien sûr. La taille est le premier critère de systémicité mais ce n’est pas le seul. Les petites banques régionales ne sont pas systémiques par leur taille, mais par leur caractère indispensable à la vie économique d’une région. Le risque systémique peut aussi venir de ces établissements. On peut considérer qu’il fallait prioriser les choses, qu’il fallait procéder par étape et donc commencer par les grands établissements, mais je ne suis pas sûre qu’à terme, les petits établissements soient supervisés par la BCE.

Les superviseurs, les autorités monétaires, tentent de se montrer rassurants en indiquant que de toute façon, la BCE disposera d’un droit de regard sur ces petits établissements. Mais le fait est que leur supervision restera, en très grande partie, l’apanage des autorités nationales.

On peut bien sûr saluer l’union bancaire, considérer qu’il s’agit d’un progrès, mais il est aussi important de souligner que l’on ne va pas au bout de la logique d’un mécanisme de supervision unique déployée à l’échelle européenne

JOL Press : Le mécanisme de supervision semble effectivement imparfait, mais le deuxième pilier de l’union bancaire, le mécanisme de résolution, tel qu’il est présenté, n’est-il pas encore plus éloigné de l’esprit initial du projet d’union bancaire  ?
 

Jézabel Couppey-Soubeyran : Oui, tout à fait. On a commencé par le premier volet, et même si on n’a pas poussé la logique jusqu’au bout, celui-ci est acté. En revanche, il y a beaucoup plus d’incertitudes sur les volets deux et trois, la mise en place des mécanismes de résolution en cas de crise et le dispositif de garantie des dépôts à l’échelle européenne.

Mais si on a été amené à envisager les solutions alternatives évoquées à l’heure actuelle, c’est tout simplement parce que, si l’on voulait être dans l’esprit de l’union bancaire, il faudrait pousser l’union jusqu’à l’union budgétaire. Et ce fonds, il faudrait l’alimenter sur la base d’un budget fédéral. Or pour l’instant, l’Europe n’est pas disposée à engager des discussions en ce sens. L’Allemagne se montre particulièrement réticente.

JOL Press : Avec cette union bancaire, comment seraient réparties les pertes en cas de faillite ?  
 

Jézabel Couppey-Soubeyran : Dans ces mécanismes de résolution, on devrait essayer de faire valoir le principe d’un renflouement interne avant d’en arriver à un renflouement externe. C’est ce que l’on appelle le « bail-in ».  Il s’agit de la mise à contribution des créanciers des établissements bancaires, les actionnaires bien sûr, en premier, et ensuite les créanciers des établissements bancaires, hormis les déposants, du moins jusqu’à 100 000 euros de dépôt, voire un peu plus pour certaines catégories de déposants comme les PME.

Mais il y a énormément de discussions autour de cela, les banques sont bien sûr très réticentes à remplacer ce qu’elles considéraient comme acquis, à savoir le principe d’un renflouement par les pouvoirs publics en cas de problème, par la mise à contribution de leurs créanciers. Les banques argumentent avec le fait que cela risque d’affaiblir la confiance de leurs investisseurs, et donc d’augmenter le coût de leurs ressources.

Mais avec un peu de recul, il est évident que l’on n’était pas dans une situation normale. Il n’est pas normal que le renflouement par les pouvoirs publics vienne avant le renflouement par les créanciers qui ont pris des risques en investissant dans des établissements bancaires.

Je ne dis bien sûr pas que c’est une mauvaise chose d’investir dans des établissements bancaires, seulement, quand des investisseurs font des placements dans des titres de dette émis par des banques, ils doivent réaliser ce placement en tenant compte du risque qu’ils prennent. Ce risque, ils le sous-évaluaient nettement jusqu’à la crise, précisément du fait de la garantie publique de sauvetage. La dette bancaire jusqu’à la crise était largement subventionnée, implicitement, par les pouvoirs publics.

On est aujourd’hui en train d’essayer de faire changer les choses avec ces mécanisme de résolution, qui devraient en grande partie reposer sur des principes de bail-in. Du point de vue de la stabilité financière et de la responsabilisation des investisseurs à l’égard du secteur bancaire, c’est une voie tout à fait satisfaisante et dans laquelle il faut pleinement s’engager. On peut toutefois s’attendre à beaucoup de résistance de la part des banques.

Propos recueillis par Rémy Brisson pour JOL Press

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