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Affaire Hollande / Gayet : les journalistes prudents ou impertinents?

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Lors de la conférence de presse, donnée mardi 14 janvier à l’Elysée, le président de la République a été interrogé sur les révélations du magazine Closer. François Hollande a voulu être bref : « J’ai un principe, c’est que les affaires privées se traitent en privé, dans une intimité respectueuse. Ce n’est ni le lieu ni le moment de le faire. » Il a, par ailleurs ajouté qu’il répondrait à ces questions avant le voyage aux Etats-Unis prévu le 11 février, lors duquel Valérie Trierweiler doit l’accompagner.

Les journalistes ont-ils traité cette affaire avec la prudence nécessaire ou ont-ils manqué de pertinence ? Eléments de réponse avec Christian Delporte, spécialiste de l’histoire des médias et de la communication politique.

JOL Press : François Hollande s’est-il sorti dignement d’affaire lors de cette conférence de presse ?

Christian Delporte : Cette conférence de presse a été bien préparée. La question qui était sur toutes les lèvres a été posée par Alain Barluet, le président de l’Association de la presse présidentielle : « Valérie Trierweiler est-elle toujours première dame de France ? » La réponse du Président, rédigée au millimètre et apprise par cœur, a désamorcé toute relance en déclarant que c’était ni le lieu, ni le moment de répondre à cette question. François Hollande ne veut pas répondre à cette question en tant que président de la République mais en tant qu’homme.

En disant : « Chacun peut traverser des épreuves. C’est douloureux. » Il m’a fait penser à Nicolas Sarkozy, après le départ son épouse. C’est une réponse assez réussie qui met fin provisoirement au débat. Cette affaire, il la règlera avec Valérie Trierweiler et de cette clarification sortira une décision. Cependant elle ne sera certainement pas communiquée par une prise de parole publique.

JOL Press : Comment analyser la différence de traitement médiatique de la vie privée du président, sous la mandature de Nicolas Sarkozy et celle de François Hollande ?

Christian Delporte : Dans le cas le Nicolas Sarkozy, c’est le président qui mettait sa vie privée en scène. Il s’est affiché à Eurodisney au bras de sa nouvelle compagne, il a exhibé son bonheur et lors de la conférence de presse de janvier 2008 il déclare qu’avec Carla Bruni « vous l’avez compris, c’est du sérieux ». Nicolas Sarkozy a organisé sa propre peopolisation et la presse a suivi cette mise en scène.

Dans le cas de François Hollande, on est dans la situation inverse. Une certaine presse va fouiller dans la poubelle de la vie privée du président qui n’a pas cherché à mettre en avant cette liaison avec Julie Gayet. Ce n’est pas du tout le même contexte. Le fait que les révélations émanent d’un magazine people à l’anglo-saxone – il ne s’agit pas là d’un Paris Mach ou d’un Point de Vue – a fait qu’un grand nombre de journalistes n’a pas souhaité être associé à ce type de presse et à ce type d’information. C’est un peu comme si la presse avait surgi dans la chambre à coucher de François Hollande. Cela peut poser un problème déontologique. Car au final, ces révélations sont pauvres en information.

JOL Press : Si François Hollande sortait affaibli de cette affaire, l’information deviendrait-elle politique ?

Christian Delporte : Pour l’instant François Hollande n’apparait pas affaibli par ces révélations. Selon un sondage Ifop-JDD, les trois quarts des personnes interrogées (77%) considèrent que les révélations sur la liaison supposée de François Hollande avec l’actrice Julie Gayet relèvent de la vie privée. Par ailleurs, selon deux sondages réalisés après les révélations de Closer, la popularité de François Hollande reste stable, voire est en légère hausse. Sa liaison supposée avec l’actrice Julie Gayet ne semble pas avoir d’impact négatif sur l’opinion.

Cette affaire pourrait avoir un impact si cette affaire quittait l’affaire privée pour occuper l’espace public. Cela dit, il y a dans la presse une certaine hypocrisie, puisque depuis les révélations de Closer, certains médias n’ont pas hésité à aller encore plus loin, en révélant, comme la fait le Parisien, l’hospitalisation de Valérie Trierweiler, par exemple.

JOL Press : Pensez-vous que sur de telles questions, certains journalistes s’autocensurent ?

Christian Delporte : Les journalistes ne peuvent pas tous s’engouffrer dans cette affaire parce que la loi les y empêche. La loi garantit la vie privée à tout le monde, y compris au président de la République. Depuis la loi du 17 juillet 1970, le droit au respect de la vie privée a son fondement dans le Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée », peut-on lire à l’article 9. Cette loi avait été votée à l’époque de Georges Pompidou qui avait dû affronter, en 1968, les rumeurs de l’affaire Markovic. Le bruit avait couru qu’un ancien garde du corps d’Alain Delon, Stéphane Markovic, avait été assassiné pour avoir été témoin de soirées libertines auxquelles le nom de Claude Pompidou avait été associé.

Cette loi garantit à tout le monde le respect à la vie privée, familiale, conjugale et extra-conjugale. Utiliser les informations de Closer pose donc un problème légal mais aussi un problème moral et déontologique lorsque les journalistes considèrent qu’il ne s’agit pas d’information. Avancer la question de la sécurité du président pour en faire une information politique est d’une grande hypocrisie. Closer, dans son numéro, se réfugie derrière cet argument pour se protéger juridiquement mais personne n’est dupe.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Spécialiste de l’histoire des médias et de la communication politique, il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels La France dans les yeux (Flammarion, 2007), Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009) et Come back (Flammarion, 2014).

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