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Afghanistan, Pakistan… une sombre année s’annonce

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JOL Press : Quel bilan peut-on tirer des premiers mois au pouvoir du nouveau gouvernement pakistanais ?
 

Georges Lefeuvre : Malheureusement, rien de particulier. Le Pakistan a beaucoup de potentiel mais ce potentiel a été englouti par le monde politicien.

Le retour de Nawaz Sharif au gouvernement sonne le déjà-vu. Cela fait des années que le pouvoir est une affaire complexe d’alternance politique entre les mêmes groupes et les mêmes personnes. L’Armée est toujours un Etat dans l’Etat et s’occupe des affaires de géopolitique régionale pour lesquelles le gouvernement civil est incompétent. Et malheureusement, le Pakistan est un pays qui a de plus en plus de difficultés, en proie à des inondations gravissimes aussi bien que des violences terroristes à répétition!

Dans un pays où le rôle du président ne compte plus, et où l’homme fort de la Cour suprême vient de prendre sa retraite, Nawaz Sharif a désormais les coudées franches pour mener sa politique. Mais il ne faut pas attendre de nombreux changements. Ses effets d’annonce concernant les drones américains et le dialogue avec les taliban étaient avant tout des coups de bluff. La preuve, les vols de drones se poursuivent dans les zones tribales et viseront sans doute bientôt le mollah Fazlullah nouveau chef du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP).

JOL Press : Le mollah Fazlullah a récemment affirmé qu’il refusait tout dialogue avec les autorités pakistanaises, pourtant, le Premier ministre continue d’affirmer que ce dialogue est d’actualité. La lutte contre le terrorisme est-il vraiment à l’ordre du jour de ce gouvernement ?
 

Georges Lefeuvre : Le nouveau chef des taliban a immédiatement affirmé qu’il ne dialoguerait pas avec le gouvernement. Ce n’est pas une surprise et d’ailleurs, toutes les négociations passées se sont soldées par un échec ou par un accord de très courte durée, à l’instar du tout premier en avril 2004, l’accord de Shakaï, rompu un mois plus tard.

Il n’y a donc pas d’espoir à court terme. La seule raison qui pousse Nawaz Sharif à prétendre qu’un dialogue est possible est le besoin de s’accorder les faveurs de la droite religieuse conservatrice.

Il ne faut pas oublier non plus que Nawaz Sharif, Premier ministre à deux reprises, a fait preuve d’une grande complaisance à l’égard des taliban. Sous son premier mandat, 1990-93, il a autorisé la création de trois groupes terroristes dont le redoutable Lashkar-e-Taeba qui a ensuite rejoint le TTP. En 1998 au cours de son deuxième mandat, il fait voter le 15ème amendement de la Constitution qui donne pouvoir au gouvernement de mettre en œuvre la charia, déclarée « prévalente sur toutes les autres lois » !

Le mollah Fazlullah est le gendre du parton du Tehrik-e-Nifaz-e-Shariat-e-Mohammadi, un mouvement pour l’application de la charia fondé en 1992. C’est ce mouvement qui a commencé à semer le chaos dans la vallée de Swat. A cette époque, Nawaz Sharif avait complaisamment cédé à la pression talibane et avait aboli les tribunaux civils de Swat au profit des tribunaux religieux. L’islamisation des institutions de l’Etat s’est tout simplement faite sous les deux mandatures de Nawaz Sharif, il n’y a pas de raison d’attendre de grand changement de la part de ce gouvernement.

JOL Press : Doit-on donc s’attendre à une recrudescence d’actes terroristes ?
 

Georges Lefeuvre : Je crois que oui. A ce niveau, nous sommes encore dans le plan de communication. La communauté internationale est largement occupée sur d’autres terrains et les armées américaines et de la coalition devront bientôt retirer leurs troupes, ce qui implique que la mission doit avoir été accomplie, en tout cas pour l’opinion publique.

Ainsi les Américains avaient-ils annoncé l’ouverture de négociations au Qatar en accréditant l’idée que les talibans ne parvenaient pas à s’unir et s’entre-déchiraient. En Afghanistan, Hamid Karzaï a lui aussi une stratégie à jouer. Il doit tenir tête aux Américains pour plaire à ses propres taliban. C’est d’ailleurs pour cela qu’aujourd’hui il rechigne à signer les accords bilatéraux de sécurité (BSA).

En réalité, depuis janvier 2012, les taliban ont réussi leur jonction opérationnelle sous la forme de la Shura-i-Murake, entre les taliban historiques de Mollah Omar et le TTP, ces derniers étant beaucoup plus wahhabisés que les premiers. Les talibans pakistanais ont en principe accepté de réduire leurs opérations sur le territoire pakistanais pour concentrer leurs forces sur l’Afghanistan et « nettoyer le pays » alors que les forces de l’OTAN opèrent encore sur le territoire et que le BSA prévoit le maintien d’une force résiduelle de 10 à 15 000 hommes.

Cette réorganisation talibane dans toutes les zones tribales ne présage rien de bon pour 2014 et notamment avec l’élection présidentielle afghane.

Cette zone insurrectionnelle n’est pas près de s’éteindre. Depuis 10 ans, personne n’a pris la pleine conscience de la sensibilité de cette zone tribale transfrontalière.

JOL Press : En Afghanistan, nombreux sont ceux qui craignent une guerre civile après le départ des forces de l’OTAN. Est-on dans ce type de contexte ?
 

Georges Lefeuvre : Par définition, une guerre civile ne se prévoit pas, cependant, le contexte est en effet porteur. Hamid Karzaï quitte le pouvoir en laissant derrière lui une situation complexe. Il a perdu la confiance des populations du nord sans avoir gagné celle des Pachtounes du Sud et de l’Est.

Sans parler de guerre civile, c’est une année chaotique qui s’annonce. Tout dépendra sans doute de l’accord de sécurité en cours de négociation entre l’Afghanistan et les Etats-Unis mais en attendant, l’Occident laisse derrière lui une situation qui ne laisse guère optimiste, les milices débauchent des militaires pour grossir leurs rangs et le Waziristan reste une machine à fabriquer des terroristes.

JOL Press : En 2014, les électeurs afghans seront appelés à élire le successeur d’Hamid Karzaï. Ce dernier pourrait-il néanmoins représenter un espoir pour le pays ?
 

Georges Lefeuvre : Il ne faut pas attendre de miracle électoral. Cependant, certains candidats sont sérieux et ont eu l’intelligence de mélanger les cultures dans leurs équipes, de manière à fédérer le pays.

Parmi eux, Abdullah Abdullah a quelques chances. Il était déjà un challenger d’Hamid Karzaï et avait obtenu 31% des voix en 2009. Tadjik par son père et Pachtoune par sa mère, il est accompagné d’un candidat vice-président Azara chiite.

Ashraf Ghani, ancien universitaire, ancien expert de la Banque mondiale aurait pu être une bonne figure s’il n’avait eu l’idée invraisemblable de choisir un candidat vice-président trop connu pour sa cruauté sanguinaire sanguinaire, l’ancien chef de guerre Abdul Rasheed Dostum.

Le frère d’Hamid Karzaï, Qayum est également en lice, mais il n’a pas encore obtenu la bénédiction de son frère.

Enfin, Zalmai Rassoul, très occidental et libéral, est un candidat apprécié de la communauté internationale et parmi ses vice-présidents potentiels, on trouve une femme, Habiba Sarabi. Il obtiendra certainement beaucoup de voix à Kaboul mais il est trop peu connu dans les campagnes.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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