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Anaphores: à force d’en user François Hollande ne risque-t-il pas de lasser?

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JOL Press : « Quand on a 25 ans », « c’est pour la jeunesse », « la France »…Durant sa conférence de presse, mardi 14 janvier, le président François Hollande a eu de nombreuses fois recours à l’anaphore. Que révèle l’usage de cette figure de style ?
 

Bernard Lamizet : En parlant de « la jeunesse » ou de « la France » à de nombreuses reprises, François Hollande n’a pas donné de nom, opérant ainsi une sorte de censure de l’identité, qui permet de ne pas engager de confrontation réelle avec un adversaire, un acteur politique ou un acteur social. L’importance de la répétition – qui n’est d’ailleurs pas propre à François Hollande mais que l’on retrouve dans énormément de discours politiques- consiste à donner à la fois une insistance à ce que ce que l’on dit et à réduire les propositions: puisque répéter permet de parler sans dire rien d’autre. Ce procédé rhétorique de répétition est une manière d’occuper le temps sans faire de proposition réelle. F. Hollande, de cette façon, fait du sur place ! Je pense en particulier à cette invention du « pacte de responsabilité » qui est une très belle formule qui occupe une place importante dans le débat public, mais au fond on ne sait pas ce que c’est…C’est un nom qui n’est pas assorti d’un contenu sur des procédures, sur des processus de négociations,  des implications sociales ou politiques.

JOL Press : Quels sont autres hommes politiques qui ont systématiquement recours à cette figure rhétorique de la répétition ?

Bernard Lamizet : Tous. Je crois que le recours de cette figure de style de la répétition n’est pas une particularité de François Hollande. Si on réfléchit bien dans le temps et dans l’histoire, c’est quelque chose qui est propre au discours politique depuis toujours. Et je pense que cette importance de la répétition tient au fait que les acteurs politiques, qui existent depuis toujours, et qui communiquent depuis toujours, ont commencé à s’exprimer à un moment où la presse n’existait pas, lorsqu’il n’y avait pas l’écriture et que les gens ne lisaient pas : le discours politique passait par conséquent par l’oral. Or, l’expression orale nécessite la répétition, tout simplement parce que l’on ne sait pas si les gens ont bien entendu ce que l’on a dit. 

JOL Press : Les réactions pendant et après la conférence de presse ont afflué sur les réseaux sociaux concernant son recours abusif de l’anaphore ? A force d’en abuser, François Hollande ne risque-t-il pas de lasser ?  
 

Bernard Lamizet : Certainement. François Hollande finit par lasser à force de camoufler son vide de projet avec des figures de style. L’opinion se rendra vite compte que la répétition est une manière de cacher le vide, si ce n’est déjà fait…Ce qui expliquerait le déficit de popularité du chef de l’Etat. 

JOL Press : Que pensez-vous de la stratégie de communication du Président ? Son expression orale est-elle maîtrisée ?

Bernard Lamizet : Lors de la conférence de presse, l’expression dans sa matérialité était maîtrisée. François sait parler et se mettre en scène. Mais plus qu’une visibilité et mise en scène, on attend d’un président de la République l’énoncé d’un véritable projet politique et d’une façon d’exercer le pouvoir. Or, je pense qui F. Hollande est tiraillé entre une absence de projet et, je crois, au fond, consciemment ou non, une absence de volonté de pouvoir. Par ailleurs,  il est, comme tous les acteurs politiques, soumis à l’emprise de cette espèce d’invasion de la visibilité et de la communication dans l’espace public. 

JOL Press : François Hollande est-il autant conseillé et entouré que ses prédécesseurs concernant sa stratégie de communication politique ? 

Bernard Lamizet : Je pense que François Hollande est tout autant conseillé que les anciens présidents de la République. Il me semble que l’on donne trop d’importance aux conseillers politiques. Quoi qu’ils disent et suggèrent – y compris dans le domaine de la communication – c’est le Président qui décide en dernière analyse. Dans ces conditions, je ne suis donc pas sûr qu’un conseiller à la communication  ait un tel poids sur le discours politique d’un chef d’Etat.

JOL Press : Le rôle du conseiller politique est-il fondamental lorsque le président arrive au plus bas dans les sondages ?  
 

Bernard Lamizet : Dire que le rôle du conseiller est fondamental en période de crise est une bonne excuse pour les Présidents et acteurs politiques pour se défausser de leurs responsabilités. Sur la question des records d’impopularité, tous les sondages nous le disent : on a rarement vu un président aussi peu populaire dans l’espace public. Il y a deux raisons à cela : d’abord  je ne suis pas sûr qu’au fond François Hollande ait pleinement la dimension d’un président de la République. Par ailleurs, comme président il s’impose pas parce que qu’il n’a peut-être pas eu le désir de s’imposer : depuis qu’il est en fonction, il semble subir la présidence plus qu’il n’y adhère. Ce tel déficit de popularité tient aussi à l’attente dont François Hollande faisait l’objet quand il a été élu face à Nicolas Sarkozy qui s’était rendu tellement insupportable dans l’espace public.

JOL Press : On se souvient de l’anaphore « Moi président je… »pendant la campagne électorale, illustration de la construction de sa figure présidentielle. Cette tirade de plus de 3 minutes restera-telle gravée dans l’Histoire ?
 

Bernard Lamizet : Cette anaphore permettait à la fois d’annoncer un projet, mais de se mettre également dans la position de la fonction présidentielle. « Moi président » : il y a ici une absence de verbe et de temps, ce qui permet de donner à ce que l’on dit une consistance immédiate. Par ailleurs, dire « Moi président », c’st se faire entendre en situation, comme si l’on exerçait déjà la fonction.

Quant à la pérennité de cette tirade,  je pense que la parole des Présidents ne reste que dans la mesure où les Présidents eux-mêmes restent dans les mémoires. Et je ne suis pas certain pour l’instant que François Hollande reste dans les mémoires pour sa politique. Il est du moins encore trop tôt pour le dire…

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Bernard Lamizet est professeur émérite de Sciences de l’information et de la communication à l’Institut d’études politiques de Lyon et auteur de «Le langage politique» (Editions Ellipses). 

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