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Centrafrique: «Le nouveau président devra réhabiliter l’autorité de l’État»

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JOL Press : En France, où se trouve principalement la diaspora centrafricaine ?
 

Sylvain Demangho : La majorité des Centrafricains de France se trouve à Paris et dans sa banlieue. La diaspora centrafricaine en France est assez nombreuse : les derniers chiffres parlaient de 6000 à 8000 personnes, mais je pense que l’on peut avancer le chiffre de 10 000 personnes, en sachant que parmi ces Centrafricains se trouvent des binationaux, c’est-à-dire franco-centrafricains.

JOL Press : Retrouve-t-on, au sein des Centrafricains qui vivent en France, les mêmes disparités ethniques et religieuses qu’en République centrafricaine ?
 

Sylvain Demangho : Tout dépend de ce que l’on met derrière ces « disparités » communautaires. Au-delà de l’appartenance ethnique et religieuse des gens, je pense que les Centrafricains ne se conçoivent pas à partir de leurs ethnies, mais à partir de leur appartenance à la nation centrafricaine. C’est un élément très important que l’on a tendance à oublier avec la médiatisation du conflit en Centrafrique qui apparaît, pour certains, comme un conflit interreligieux. Au sein des Centrafricains, il n’existe pas réellement de clivage profond entre ethnies ou entre religions. En France en tout cas, il n’y a pas ce phénomène-là. Et s’il existe, il doit être marginal.

JOL Press : Il y a donc plutôt un sentiment d’unité, de solidarité ?
 

Sylvain Demangho : Tout à fait. C’est l’appartenance à un même pays, à une même nation, qui prime. Les identités communautaires ne sont pas exacerbées ou en opposition avec d’autres. Il faut bien avoir à l’esprit que la communauté centrafricaine en France n’est pas un bloc, il y a plusieurs catégories sociales : il y a des Centrafricains qui sont des réfugiés politiques, il y en a qui sont des travailleurs, etc. S’il y a disparité, elle se situe donc à ce niveau-là. Mais depuis les récents évènements en Centrafrique, il y a un élan de solidarité avec ceux qui sont restés au pays. Il y a également des personnalités politiques qui s’organisent ici en France pour débattre de la question politique, et il y a ceux qui s’organisent également pour renforcer la solidarité en termes caritatifs.

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JOL Press : Comment l’annonce de la démission du président Michel Djotodia vendredi dernier a-t-elle été accueillie par les Centrafricains de France ?
 

Sylvain Demangho : La démission a été diversement appréciée. Il faut savoir que le régime de transition qu’incarnait Michel Djotodia avait aussi ses partisans en France, tout comme l’opposition à ce régime-là. Globalement, le départ de Djotodia a été considéré comme une bonne chose, vu que les récents événements s’étaient cristallisés autour de sa personne. Je pense qu’il y a eu un consensus pour qu’il puisse partir et ouvrir la voie vers une transition plus apaisée. C’est ce sentiment-là qui prime chez les Centrafricains de France.

JOL Press : Comment le président Djotodia était-il perçu par les Centrafricains ?
 

Sylvain Demangho : La Centrafrique est un pays normal, comme la France, l’Italie ou le Portugal. Il y a donc ceux qui soutiennent le président Djotodia, qui ont cru en lui et au fait qu’il ait une vision pour le pays, et il y a ceux qui se sont opposés à lui. Il n’y a pas un sentiment unanime, « pour » ou « contre » Djotodia. Il faut aussi rappeler que Djotodia a toujours des partisans, au sein de l’armée par exemple, mais aussi des partisans politiques : il a des hommes derrière lui. Je pense que le départ de Djotodia s’inscrit dans une sagesse politique : il pouvait très bien ne pas partir, il avait les moyens de rester et de faire la guerre, mais s’il est parti, il a fait un choix relativement patriotique.

JOL Press : L’opposition à Michel Djotodia était-elle soudée ?
 

Sylvain Demangho : Il y a deux choses qu’il faut vraiment retenir : quand on parle de l’opposition en Centrafrique, il y a le groupe qu’on appelle l’opposition démocratique, constituée de partis politiques et d’associations républicaines et démocrates. Et il y a l’opposition militaire, entretenue en grande partie par l’ancien président, le général Bozizé, qui n’a jamais accepté son départ du pouvoir, et qui est derrière certains membres du groupe qu’on appelle « anti-balaka ».

Mais c’est l’opposition militaire qui a pris le dessus, puisque l’opposition politique démocratique a en fait accepté le consensus de la transition, pour que des élections puissent se dérouler à la fin de la transition. Les choses se sont exacerbées lorsque des groupes d’opposition militaire, autour des anti-balaka, ont commencé à agir. Il y a donc ces deux types d’opposition qu’il faut prendre en considération lorsqu’on analyse la situation en Centrafrique.

JOL Press : Quelles sont les attentes des Centrafricains concernant l’élection du prochain président de transition ?
 

Sylvain Demangho : La première chose qu’attendent les Centrafricains, c’est la paix, et avec elle, la sécurité. Il faut que la sécurité puisse être assurée sur l’ensemble du territoire : d’abord à Bangui, qui est la capitale politique, mais aussi dans l’arrière-pays. Il faut que l’on puisse désarmer les milices et les forces militaires conventionnelles et non conventionnelles, recréer une nouvelle armée nationale et que la gendarmerie et la police puissent travailler. Je pense que c’est cela la première attente.

La deuxième attente est d’ordre politique, puisque le problème, avant d’être ethnique ou confessionnel, est avant tout politique. Il faut donc résoudre le problème politique au travers d’élections, libres et transparentes, pour qu’enfin un nouveau pouvoir légitime et populaire puisse se mettre en place et reconstruire le pays.

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JOL Press : Quels seront les défis du nouveau président ?
 

Sylvain Demangho : Les prochains défis sont énormes, puisqu’il y a tout le pays à reconstruire, mais c’est surtout la question sécuritaire qui prime. Ce n’est pas dans six mois ou dans un an que l’on résoudra cette question : cela doit être le premier défi du nouveau président par intérim – c’est après la transition que les élections « normales » seront organisées et qu’un président sera élu [au maximum début 2015, ndlr]. Il faut également que le nouveau président de transition puisse travailler sur la question de la réhabilitation de l’État : l’autorité de l’État doit être réhabilitée partout, que ce soit à Bangui ou dans l’arrière-pays. Il faudra aussi qu’il relance les activités économiques. Ce sont là les trois éléments-clés pour que le pays puisse sortir de cette situation difficile.

Il faut aussi parler d’une chose que l’on entend peu, c’est que le terreau sur lequel s’est développé le conflit centrafricain est le terreau de la pauvreté et de la misère. En République centrafricaine, entre 80 et 90% de la population vit dans l’extrême pauvreté, et c’est cette extrême pauvreté qui pousse les gens à prendre parfois les armes pour résoudre des questions politiques. Donc si l’économie marche et que les richesses du pays sont redistribuées de manière équitable, je pense qu’une bonne partie des problèmes centrafricains sera résolue.

JOL Press : Le nouveau président de transition devra-t-il compter sur l’armée pour mener à bien la sécurisation du pays ?
 

Sylvain Demangho : Quand on parle de la sécurisation du pays, l’armée joue en effet un rôle important. Or, l’armée actuelle est à genoux. Il faudra donc que le nouveau président reconstruise une armée nationale et patriotique, et ce que ne soit plus les milices qui jouent le rôle de l’armée. L’armée a toute sa place dans les perspectives du pays : une fois l’armée reconstruite, il faut que cette armée soit une armée républicaine et démocratique, qui ne passe pas son temps à faire des coups d’État. L’armée a donc clairement un rôle à jouer dans ce pays.

JOL Press : La France a-t-elle aussi encore un rôle à un jouer en Centrafrique ?
 

Sylvain Demangho : C’est une évidence. La France n’a jamais quitté ce pays depuis les années 60. On pense que la France est là-bas depuis le lancement de l’opération Sangaris. C’est une erreur : les forces françaises militaires n’ont jamais quitté la RCA. Avant même que l’opération Sangaris ne soit déployée en Centrafrique, il y a eu l’opération BOALI [en 2002].

La France aura toujours un rôle à jouer dans ce pays, mais tout dépend de la nature de ce rôle : faut-il que la France reste dans le schéma qui a prévalu depuis la période Bokassa, où elle a tout fait à la place des Centrafricains ? Ou bien faut-il essayer de construire un nouveau partenariat, plus équitable et respectueux ?

Je pense que les Centrafricains ont le droit de vivre leur souveraineté. La France ne peut que les accompagner. Le rôle que peut jouer la France est d’abord de sortir de ce que certains appellent la Françafrique. Il faut que la France s’inscrive dans un partenariat « gagnant-gagnant », comme on le dit aujourd’hui. On ne peut pas continuer à vouloir intervenir en Afrique comme si on était dans les années 40. Le monde a changé, la géopolitique mondiale aussi, et qu’on le veuille ou non, nous allons dans le sens d’une redistribution des cartes mondiales.

Il faut aussi savoir qu’il y a une élite centrafricaine qui n’accepte pas que le pays soit traité comme dans les années 60, où un Bokassa se faisait couronner empereur avec les soutiens d’un certain Valéry Giscard d’Estaing… Il faut sortir de ce schéma-là, et se tourner vers un schéma beaucoup plus avantageux pour la Centrafrique et la France, un partenariat que les Chinois appellent « win-win ». Voilà le rôle que la France peut jouer en Centrafrique.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Sylvain Demangho est le président du Collectif des Centrafricains de France.

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