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«Coming out» social-démocrate de Hollande: les Allemands satisfaits

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L’Allemagne semble avoir apprécié le discours de François Hollande, lors de sa conférence de presse. « Mieux vaut tard que jamais. Ce sont des projets courageux », a déclaré au Monde Gunther Krichbaum (CDU), président de la commission des affaires européennes au Bundestag. « Je suis curieux de voir si le président Hollande a le pouvoir nécessaire pour faire face aux syndicats. Mais la France n’a pas le choix. Elle doit renforcer sa compétitivité. Ce pays a un potentiel énorme mais il doit trouver la force de rebondir. L’Europe a besoin d’une France qui soit forte non seulement par ses interventions à l’étranger mais aussi en raison de son économie. »

Mais, dans le détail, comment les Allemands ont-ils jugé la nouvelle orientation du chef de l’Etat ? Eléments de réponses avec Alfred Grosser, spécialiste des relations franco-allemandes. Entretien.

JOL Press : François Hollande a voulu mettre en avant l’amitié franco-allemande lors de sa conférence de presse. Pour quelles raisons était-ce si important ?

Alfred Grosser : La relation franco-allemande avait été un peu négligée ces derniers temps. Côté allemand, on était agacé de l’importance accordée en France aux commémorations de la guerre de 14-18 et on reprochait aux Français de manquer de perspectives d’avenir. Plusieurs dizaines de millions d’euros sont, en effet, dépensés pour ces commémorations alors qu’on ferme des instituts de France en Allemagne et des consulats et qu’on va vendre la Maison de France à Berlin faute de moyens.

La France fait en sorte qu’un maximum d’événements soient organisés, avec l’Allemagne, autour de ces commémorations. Mais pour les Allemands, la catastrophe suprême c’est 39-45 pas 14-18. Aussi ne comprennent-ils pas pourquoi les Français en font autant. La conférence de presse de François Hollande a donc été, dans ce contexte, très appréciée côté allemand.

JOL Press : Justement, que pense Berlin du tournant social-démocrate de François Hollande ?

Alfred Grosser : En Allemagne le discours de François Hollande a été très bien accueilli. Les Allemands sont heureux de constater que le chef de l’Etat français a « enfin choisi » une bonne orientation politique. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier (SPD), s’est même « réjoui des annonces faites en France ». « Une nouvelle orientation de la politique économique ne peut être perçue que comme un bon message. Nous avons tous intérêt à ce que la France retrouve sa puissance économique et soit un moteur de l’économie européenne », a-t-il déclaré.

Les Allemands envisagent désormais bien mieux les relations avec François Hollande qui a abandonné « l’utra-socialisme ». Jusqu’à présent en France, du côté du Parti socialiste, le mot « social-démocrate » était un gros mot, presque une injure. Ce temps est révolu. François Hollande assume et les Allemands apprécient. La Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui est un journal plutôt conservateur, a consacré ce jeudi 16 janvier, un long éditorial, deux énormes colonnes à la Une, sur cette nouvelle orientation du président français. Certes, les actes sont attendus, mais le discours est salué.

JOL Press : Que reprochait-on à François Hollande en Allemagne ?

Alfred Grosser : On lui reprochait de ne s’être pas assez libéré d’un langage prétendument socialiste et de rester relativement inactif, de ne réduire ni la dette ni les dépenses publiques. Après ce discours, les vraies difficultés vont commencer pour François Hollande, mais il sera soutenu par le SPD en Allemagne.

JOL Press : Le chef de l’État a proposé de créer une grande entreprise franco-allemande de la transition énergétique. Une conciliation sur cette question est-elle envisageable malgré un avis discordant sur le nucléaire ?

Alfred Grosser : Si l’Allemagne a décidé d’arrêter son dernier réacteur fin 2022 et de se renforcer sur tous les segments de la transition énergétique, une telle entreprise est tout à fait envisageable dans la mesure où, en France, on commence à mettre en doute le nucléaire et où en Allemagne on se rend compte qu’arrêter le nucléaire est très long, très coûteux et très difficile.

En Allemagne, les écologistes sont très entendus, alors qu’en France, l’idée même de transition énergétique est très nouvelle. Le vice-chancelier allemand, par ailleurs président du SPD, Sigmar Gabriel est ministre de l’Economie et de la transition énergétique ; c’est dire l’importance que l’Allemagne accorde à la question. Son avenir politique dépendra de ce qu’il aura fait en matière de transition énergétique. La France a encore beaucoup de progrès à faire sur la question.

JOL Press : François Hollande veut établir un « projet de défense » européen en partenariat avec l’Allemagne. Est-ce une bonne idée selon vous ? Berlin paraît frileux.

Alfred Grosser : L’armée allemande a été constituée sur la base du rejet du national-socialisme. Ce n’est pas une armée patriotique mais une armée de défense des libertés. Quand l’Allemagne choisit d’intervenir à l’extérieur c’est toujours dans un objectif de défense des libertés. On est très prudent. Toute intervention doit, au préalable, recevoir l’accord du parlement et cet accord doit être renouvelé tous les ans, comme cela a été le cas en Afghanistan. En France, le chef de l’Etat fait un peu ce qu’il veut.

Un « projet de défense » européen est une idée très utopique. La défense européenne commune n’existe pas et personne ne sait ce que peut être une défense européenne commune. Dans le traité de Lisbonne, il est écrit que les pays membres vont essayer de se mettre d’accord sur une politique de défense commune qui pourrait conduire, dans un deuxième avenir, à une vraie défense commune. On voit bien que tout cela est très lointain. Par ailleurs, la France ne partagera pas l’arme nucléaire avec n’importe qui.

Les Français aimeraient attirer les Allemands dans leurs aventures africaines mais pour eux ces interventions ne sont que la continuation de la politique « Françafrique » qui ne concerne pas l’Allemagne. Des discussions sont possibles mais on imagine mal des interventions communes, indépendantes de l’Otan.

JOL Press : L’état des relations entre François Hollande et Angela Merkel s’est-il amélioré ?

Alfred Grosser : Les relations entre François Hollande et Angela Merkel n’ont jamais été si mauvaises que certaines personnes aiment le croire. Les relations ne sont pas les même que sous le mandat de Nicolas Sarkozy car, si ce dernier approuvait chacune des décisions de la Chancelière, François Hollande a voulu se montrer plus exigeant. Je pense à la politique sociale, par exemple, sur laquelle les sociaux-démocrates allemands le rejoignaient. François Hollande et Angela Merkel ont de bonnes relations. Par ailleurs, le conseiller le plus proche d’Angela Merkel, en charge des questions européennes, Nikolaus Meyer-Landrut, qui est francophone et francophile, travaille très bien entre Paris et Berlin.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Alfred Grosser a été chroniqueur politique au Monde de 1965 à 1994 et à La Croix et à Ouest-France depuis 1994. Auteurs de nombreux ouvrages, ses travaux et son enseignement ont exercé une grande influence, notamment pour la réconciliation et la coopération franco-allemande.

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