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Corée du Nord: Il est de plus en plus périlleux de fuir le pays

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JOL Press : En 2013, plus de 1500 Nord-Coréens se sont réfugiés en Corée du Sud contre 3000 il y a cinq ans. Depuis qu’il est au pouvoir, Kim Jong-Un a-t-il renforcé le contrôle aux frontières ? 
 

Ann Shin : Depuis son arrivée au pouvoir, Kim Jong-Un a renforcé les mesures de contrôle et les postes de sécurité à la frontière entre la Corée du Nord et la Chine, afin de mettre un terme aux tentatives de fuite des citoyens nord-coréens. Il a également augmenté les peines contre les gardes aux frontières susceptibles de recevoir des pots de vin des transfuges. Il y a quelques années, les transfuges et les passeurs pouvaient encore espérer pouvoir passer vers la Chine en versant des sommes d’argent aux gardes frontière. Mais depuis que Kim Jong-Un a pris les rênes du pouvoir, il a considérablement restreint la possibilité pour les transfuges de s’échapper.

JOL Press: L’ONG Amnesty International a récemment publié un rapport avec des photos satellites qui dévoilent la progression des camps en Corée du Nord. Lors du tournage du documentaire The Defector vous avez été amenée à rencontrer ces transfuges: que vous ont-ils raconté sur les arrestations et la torture dont ils ont pu être victimes? 
 

Ann Shin: Sook-ja, l’un des personnages principaux de mon documentaire « The Defector » a été attrapée avec un téléphone portable, elle a été emprisonnée, questionnée et battue pour avoir un téléphone en sa possession. Un autre transfuge que j’ai rencontré m’a raconté qu’elle avait été retenue dans un centre pénitencier pendant plusieurs mois. La prison était complètement surchargée : elle et des dizaines d’autres prisonniers étaient enfermés dans l’entrée du centre, où ils devaient restés assis et contraints de dormir les uns sur les autres. En guise de toilettes, il y avait trois trous au-dessus desquels ils devaient s’accroupir à la vue de tous. Ils étaient très peu nourris, ne recevant qu’un petit bol de bouillie de maïs. Les gens qui sont morts dans la cellule de détention ont été traînés dehors avant d’être enterrés. Parfois, ils ont été traînés avant même d’être totalement décédés.

J’ai entendu les témoignages d’autres transfuges qui parlaient de nombreuses formes de torture:  notamment cette terrible histoire de gardes qui ont frappé une femme enceinte dans le ventre jusqu’à ce qu’elle fasse une fausse couche. Elle est morte d’une hémorragie peu de temps après. Une autre détenue, battue et a déshydratée pendant plusieurs jours, était si désespérée qu’elle a bu l’eau du seau d’une serpillère. Elle a souffert de dysenterie – une  maladie infectieuse du côlon  – pendant des jours, sur le point de mourir. Les gardes l’ont fait sortir de la prison et l’ont jetée dans la fosse à ciel ouvert, le lieu de sépulture pour les prisonniers. Elle a réussi à ramper et à s’échapper: c’est finalement grâce à sa dysenterie qu’elle a réussi à s’échapper de la prison.

En plus de ces prisons et de ces centres pénitenciers locaux, il y a des camps de travail dans lesquels les détenus sont rarement relâchés. Le traitement qui leur est réservé dans ces camps de travail est terrible : ils reçoivent encore peu de nourriture, et sont victimes de travail forcé dans les mines ou dans les champs. Les prisonniers qui volent de la nourriture lorsqu’ils travaillent dans les fermes, dérobent des grains de maïs dans les champs, ou mangent un rat seront séverement punis.
 

JOL Press : Concrètement, comment s’échappe-t-on  de l’un des pays les plus fermés au monde?
 

Ann Shin : Le trajet le plus « facile », si l’on peut dire, pour fuir la Corée du Nord reste la traversée des rivières Tumen ou Yalu, situées à la frontière de la Corée du Nord et de la Chine. Une fois sur le sol chinois, les transfuges doivent trouver de l’aide auprès de la diaspora coréenne. Mais cet itinéraire est périlleux, et de plus en plus difficile en raison du renforcement de la sécurité aux frontières. Même si un Nord-Coréen réussit à passer la frontière, il n’est pas encore «libre». Comme la Chine ne reconnaît pas les Nord-Coréens comme des réfugiés, ils risquent d’être rapatriés s’ils sont attrapés. Les transfuges sont donc contraints de rester cachés, même une fois arrivés sur le territoire chinois.

Pour obtenir le statut de réfugiés, les transfuges doivent entreprendre un autre voyage dangereux : vers la Mongolie, où ils seront confrontés aux difficultés du climat – avec des températures extrêmement froides en hiver – et à un paysage hostile. Certains essaient de traverser la Chine pour rejoindre d’autres pays d’Asie du Sud-Est, mais là encore les risques sont élevés;  notamment en raison de la grande distance à parcourir et des nombreux points de contrôle qu’ils rencontreront sur leur route.

JOL Press: Qu’arrive-t-il aux transfuges nords-coréens lorsqu’ils sont démasqués ?
 

Ann Shin: Si les transfuges nords-coréens sont découverts alors qu’ils essaient de s’enfuir vers la Chine, ils sont jetés en prison, torturés et devront subir ce qu’on appelle une “reeducation”. S’ils sont arrêtés en Chine, ou dans des pays d’Asie du Sud, ils sont déportés vers la Corée du Nord, et subiront la torture et l’emprisonnement. Les femmes enceines qui ont été victimes de la traite en Chine seront quant à elles torturées et forcées à avorter.

JOL Press : Pendant tout le tournage de votre documentaire, vous avez été témoin de ces tentatives de fuite, et en première ligne du danger quotidien auquel sont confrontés les transfuges. Qu’est ce qui vous a particulièrement marquée?
 

Ann Shin : J’ai été émue par la ténacité et l’humilité des transfuges. Ces personnes risquaient non seulement leur vie mais aussi de graves répercussions contre les membres de leur famille s’ils étaient découverts pendant leur périple. Ces personnes voulaient juste tenter d’avoir une « vie normale ».
Cette rencontre avec une jeune femme nord-coréene qui travaillait dans un bar karaoké comme call-girl m’a particulièrement marquée. Elle avait été victime de la traite en Chine, comme beaucoup de femmes nord-coréennes. Elle avait réussi à s’échapper avec l’aide d’un passeur, mais elle avait décidé de rester en Chine pour travailler afin d’envoyer de l’argent à sa famille restée en Corée du Nord. Son plan était de leur envoyer de l’argent pendant 8 mois avant de s’échapper de Chine pour demander l’asile en tant que réfugiée dans un autre pays.

J’ai également été très marquée par la terreur quotidienne qui habitait les réfugiés nords-coréens, même une fois qu’ils étaient arrivés en Corée du Sud. Les deux femmes que j’ai suivies près de la frontière au nord de la Chine ont finalement obtenu le statut de réfugiées en Corée du Sud. Mais même là-bas, il y avait cette peur constante d’être découvert par des fonctionnaires nord-coréens, comme celle de voir des châtiments infligés à des membres de leur famille…

JOL Press: Quelles sont les conditions de vie des transfuges nords-coréens en Chine?
 

Ann Shin: La plupart d’entre eux vivent clandestinement. S’ils sont découverts par les autorités chinoises, ils sont renvoyés en Corée du Nord. Les femmes qui ont été victimes de la traite et vendues à des Chinois sont à la merci de ces hommes. Les enfants nés de femmes nord-coréennes en Chine n’ont pas de statut, de sorte qu’ils ne peuvent pas aller à l’école ou recevoir des prestations de l’Etat. Cependant, certains Chinois qui achètent des femmes nord-coréennes procèderont à l’adoption de leurs enfants, leur permettant ainsi d’être scolarisés. Beaucoup de transfuges nord-coréens vivant dans la clandestinité en Chine envoient de l’argent aux membres de la famille en Corée du Nord.

JOL Press: Comment se passe l’intégration des réfugiés en Corée du Sud?
 

Ann Shin : L’intégration, lorsqu’elle arrive, prend un certain temps. Les avis sont très partagés sur la question. Les gens sont préoccupés par l’impact économique qu’impliquerait une réunification. Depuis que le pays a été divisé, après la guerre de Corée en 1953, il y a une grande disparité économique et culturelle entre le Sud et le Nord, supérieure encore à celle qui existait entre la RDA et la RFA en Allemagne. De nombreuses familles de la classe moyenne sud-coréenne craignent ainsi les conséquences qu’impliquerait une réunification. Cependant, beaucoup de gens veulent la paix et la fin des menaces proférées par la Corée du Nord.

Pour certains, la chute du régime est de plus en plus probable, alors que des informations et les technologies deviennent accessibles pour certains Nord-Coréens.
Dans des régions comme Pyongyang et les provinces septentrionales de la Corée du Nord qui bordent la Chine, il y a eu des fuites d’informations. Depuis des années, des DVDs de films et d’émissions de télévision occidentale et de Corée du Sud ont été introduits clandestinement au Nord. En outre, des membres de l’élite en Corée du Nord ont eu un accès limité à l’Internet. Il y a des émissions de radio et des clés USB de contrebande dans le pays. Des Nord-Coréens ont également accès à des téléphones portables qui leur permettent de parler avec les membres de la famille qui ont réussi à s’échapper.

Aujourd’hui, la Corée du Nord dispose également d’un réseau mobile officiel appelé Koryolink, une entreprise commune avec la société Caire Orascom Telecom. Depuis cette année, Pyongyang fabrique même ses propres smartphones. Évidemment, il y aura toujours des restrictions concernant l’accès à Internet, mais parallèlement les Nord-Coréens auront de plus en plus accès aux nouvelles technologies, permettant ainsi des communications plus rapides dans le pays. Espérons que cela facilite une plus grande circulation de l’information et que cela permette des changements.
 

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