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Depuis l’Afrique, l’Occident est-il une puissance en déclin?

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Le succès de l’opération Serval au Nord-Mali en janvier 2013, quarante-neuvième intervention militaire de la France dans son pré carré africain, a dépassé toutes les attentes. Ses soldats y ont été accueillis en libérateurs tandis que des intellectuels africains de renom, jusque-là peu suspects de complaisance à l’égard de la Françafrique, se sont bruyamment réjouis de son action, jugée énergique et courageuse.

On peut comprendre ce soulagement, car il était impératif de mettre hors d’état de nuire la coalition des responsables du sanglant chaos malien. Mais la haine envers ces derniers n’a-t-elle pas ramené un conflit complexe à une banale lutte entre le Bien et le Mal ?

C’est à cette question que s’efforcent de répondre Aminata Dramane Traoré et Boubacar Boris Diop dans un échange de lettres stimulant et franc…

Extrait de La Gloire des Imposteurs d’Aminata Dramane Traoré et de Boubacar Boris Diop

J’aimerais aussi m’arrêter un instant sur le récent sommet extraordinaire consacré par l’Union africaine à la Cour pénale internationale. Il sonne comme une alerte. C’est la première fois, ou presque, que l’Afrique tout entière parle d’une seule voix et ose lancer un ultimatum au Conseil de sécurité. À cette occasion, Uhuru Kenyatta n’a pas hésité à déclarer que la CPI est « un jouet entre les mains de puissances impérialistes en déclin ». Petite phrase bien vigoureuse mais où seuls comptent à mes yeux les deux derniers mots (« en déclin ») et le fait qu’ils aient été prononcés par un politicien kenyan plutôt accommodant, qui n’a en tout cas rien de commun avec Thomas Sankara ou Amilcar Cabral.

Cette façon de s’exprimer témoigne de ce que tu appelles dans L’Étau un changement de paradigme. Qui donc invitait l’Occident à cesser d’être sourd et aveugle à tout ce qui ne le touche pas directement, sous peine de n’avoir plus d’interlocuteur ? La mise en garde était quasi prophétique, car si le temps de l’impossible dialogue n’est pas encore tout à fait venu, il n’est plus très loin. En lisant nos lettres, certains Africains diront : « Voilà que nous nous défaussons encore sur les Blancs de nos tragiques errements alors qu’il faudrait surtout balayer devant notre porte ! » Ou encore : « La colonisation a vraiment bon dos, hein… » Je tiens à leur répondre ici, par anticipation.

Je n’ai rien contre l’idée qu’il faut se concentrer sur ses faiblesses, pour les corriger, et cesser de se plaindre si souvent de la force écrasante des autres. Je ne veux pas non plus faire de procès d’intention à ceux qui défendent ce point de vue, car ils sont souvent de bonne foi. Il y a d’ailleurs peut-être surtout du dépit amoureux dans leur agacement. On peut le comprendre dans la mesure où, face à la situation compliquée du continent, la tâche de redressement semble si insurmontable que nous avons tous nos moments de doute et de blues idéologique.

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De lâcheté, aussi. Et c’est le poète, en l’occurrence Césaire, qui dit mieux que quiconque ces plus secrètes fêlures. J’aime beaucoup ce passage du Cahier d’un retour au pays natal où, dans le tramway parisien, le jeune Martiniquais pactise avec deux dames chics en train de se moquer discrètement d’un clochard nègre, un déchet humain absolu (« La misère, il n’y a pas à dire, s’était donné un mal fou pour l’achever »). Et son récit, Césaire le débute en avouant sa honte et sa fureur contre lui-même : « Et moi, moi qui chantais le poing dur, il faut savoir jusqu’où je poussai la lâcheté ! Un jour, dans un tramway, un Nègre… »

Je crois, Amy, que du fond d’un abîme de misère et de servitude, il est impossible de ne pas accuser le coup plus souvent qu’à son tour. La seule chose intolérable, c’est de s’installer à demeure dans la haine de soi. Et qu’on le veuille ou non, c’est bien ce qui transparaît dans certaines réactions épidermiques, au propre comme au figuré. Au fond, si certains prétendent être perturbés par le principe même d’une mise en cause de l’Occident, c’est pour n’avoir pas à se demander si les crimes abominables que nous lui imputons, dans le passé comme dans le présent, sont réels ou imaginaires. C’est pourtant à cette seule question qu’il importe de répondre…

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