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Diplomatie: le Vatican a-t-il encore beaucoup d’influence à travers le monde?

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A l’occasion de sa visite au Vatican, ce vendredi 24 janvier, François Hollande devrait aborder la question syrienne, même si Paris et le Saint-Siège, « n’ont pas de convergences de vue sur l’ensemble des conflits dans le monde », a souligné l’Elysée. Les deux parties, au moins, s’entendent sur « la fin des violences » en Syrie. Il pourra également être question du Mali, de la Centrafrique, de l’Asie et de l’Amérique latine, dont le pape est originaire, mais aussi des problématiques liées à l’environnement, au trafic des êtres humains et aux migrations.

Décryptage de l’événement avec Christophe Dickès, docteur en histoire contemporaine des relations internationales et auteur du Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège (Robert Laffont – octobre 2013). Entretien.

JOL Press : Quel est aujourd’hui le poids diplomatique du pape dans le monde ?
 

Christophe Dickès : Il est assez difficile de se prononcer sur la réalité du poids diplomatique du Saint-Siège dans le monde parce que, assez logiquement – et à l’instar de tous les Etats – nous n’avons pas accès aux archives. Il n’en reste pas moins que le Vatican est un acteur majeur de la diplomatie mondiale mais c’est un acteur discret. Le Saint-Siège agit dans le secret, non pas dans le sens négatif du terme, mais dans le sens « actif » : le secret permet une plus grande marge d’action.

On sait aussi que le Vatican possède une des premières représentations diplomatiques au monde : 180 représentations, ce qui absolument considérable. Mais il ne faut cependant pas voir ce réseau diplomatique  comme un réseau d’espions, comme on a souvent l’habitude de le voir ; il faut sortir des fantasmes, c’est un réseau qui est avant tout au service de l’Eglise. Mais il est aussi au service des nations qui lui en font la demande. Il joue ainsi le rôle de médiateur et parfois d’arbitre : il est intervenu et a obtenu par exemple la libération des otages britanniques en Iran en 2007. Mais encore une fois, son action est très discrète. Elle en est d’autant plus efficace.

[image:2,s]JOL Press : Pour quelles raisons un chef d’Etat choisit-il de rencontrer le pape ? Est-ce uniquement pour adresser un « message fort » aux catholiques de son pays ?
 

Christophe Dickès : Dans le cas de la visite de François Hollande, il est clair que le chef de l’Etat souhaite apporter un message d’apaisement aux catholiques après les grandes manifestations contre le mariage homosexuel. Mais ce n’est pas l’unique but de son voyage. Jusqu’ici il considérait de très loin le rôle politique du Saint-Siège mais il s’est aperçu que le Vatican jouait un rôle important dans une affaire qui domine les relations internationales aujourd’hui : la question syrienne. Quand le président russe, Vladimir Poutine, se rend en novembre dernier au Vatican, quand Barack Obama est annoncé à Rome pour la fin mars, vous ne pouvez pas, en tant qu’acteur majeur des relations internationales, faire comme si le Saint-Siège n’existait pas.

Il y a eu une rupture diplomatique en 1904 entre la France et le Saint-Siège. La France a fermé son ambassade mais elle a été rouverte en 1921 parce que le gouvernement de l’époque s’est bien aperçue que le Vatican était bien un acteur incontournable du concert des nations. Quand un chef d’Etat va voir le pape, il ne va pas voir le roi de l’Etat de la Cité du Vatican mais le chef du gouvernement de l’Eglise catholique –le Saint-Siège- qui représente 1,2 milliard de personnes à travers le monde.

Dans l’affaire syrienne, le rôle du Saint-Siège est important car sa première préoccupation, d’un point de vue diplomatique, est la protection des catholiques. Or ces catholiques aujourd’hui sont victimes d’un islamisme radical. Et le Vatican est légitimement soucieux de ces minorités chrétiennes contraintes généralement à un exode afin d’éviter les massacres.

JOL Press : La voix du pape est-elle encore écoutée ?
 

Christophe Dickès : Le pape aujourd’hui n’est pas une puissance temporelle, le pape n’a pas d’armée, il est à la tête d’un territoire minuscule, sa seule puissance est morale. Et cette puissance morale consiste à défendre la dignité de l’homme. Le Saint-Siège a intégré le discours sur les droits de l’Homme, et notamment sur la liberté religieuse, c’est-à-dire la liberté de chacun de pouvoir exercer son culte. C’est là où il y a une forme de hiatus : quand le Vatican défend la liberté religieuse (liberté de culte, liberté d’enseigner, etc) dans tous les pays du monde, il la défend notamment dans les pays où cette liberté n’est pas respectée. Or, on sait que les chrétiens constituent la composante religieuse la plus persécutée sur la planète.

Le Saint-Siège défend donc un point de vue, notamment dans les instances ou les grandes conférences internationales, au nom des catholiques. A l’ONU par exemple, il fait valoir sa position sans être membre mais observateur. Il intervient sur la question de la contraception, de l’avortement, du mariage homosexuel, etc. Mais pas seulement sur ces sujets : les mines anti-personnelles, la guerre à tel endroit de la planète, la famine dans le monde, etc. sont des sujets qu’il aborde aussi avec toujours le même prisme : celui du respect de la dignité humaine.

JOL Press : Lors du voyage de François Hollande au Vatican, il sera question, entre autres, des problématiques liées à l’environnement. Que peut dire un pape sur ces questions-là ?
 

Christophe Dickès : Le Vatican s’intéresse aux problématiques liées à l’environnement depuis un certain temps. Pour l’anecdote, le Vatican est le premier Etat à avoir utilisé des panneaux solaires qu’il a fait installer sur le toit de la salle Paul VI, la salle des audiences générales, à gauche de la Basilique Saint-Pierre. Cet intérêt pour l’écologie est apparu sous Jean-Paul II ; Benoît XVI a travaillé dans le même sens et François semble lui aussi sensibles à ces questions comme l’a montré son homélie le jour de son installation.

Le pape estime que la nature est une création de Dieu et comme toute création de Dieu elle doit être respectée. De son point de vue, cela vaut pour l’environnement mais aussi pour la vie humaine, de la conception à la mort. Dans le contexte de mondialisation où la finance régule les comportements, le Vatican souhaite apporter un message respectueux de la nature et de la vie. Ce discours est le même que celui sur l’économie. Le Saint-Siège ne se prononce pas sur telle ou telle théorie économique mais souhaite en toute chose que la dignité humaine soit respectée. Or l’homme ne serait pas digne s’il ne respectait pas la nature et ses lois.

JOL Press : Un homme d’Eglise peut-il encore apparaître comme un chef d’Etat, dans un monde de plus en plus sécularisé ?
 

Christophe Dickès : Le Saint-Siège a un statut juridique, sur le plan international, unique au monde. Il n’existe pas d’autre religion qui se trouve dans ce cas. Qu’il s’agisse de l’islam, du judaïsme, de l’indouisme ou du bouddhisme, aucune religion ne possède la même hiérarchie centralisée ni la même histoire que l’Eglise catholique.

Par ailleurs, je ne crois pas que le monde soit de plus en plus sécularisé, il ne faut pas avoir un regard franco-français qui consisterait à croire que la séparation de la religion et de l’Etat en notre pays est une règle commune. « Le XXIème siècle sera religieux ou il ne sera pas », annonçait André Malraux. On le constate chaque jour dans l’actualité, ne serait-ce qu’à travers tous les conflits religieux qui éclatent à travers le monde.

La question religieuse est une question très importante dans bien des Etats. Je pense notamment à la Russie ou aux Etats-Unis. En France, Nicolas Sarkozy a créé une forme d’observatoire des religions au sein du Quai d’Orsay dans le but d’intégrer précisément cette donnée : cela s’appelle la géopolitique des religions. Et faire comme si les religions n’existaient pas au nom du laïcisme serait une erreur de jugement et de la pure idéologie.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Christophe Dickès est docteur en histoire contemporaine des relations internationales (Paris IV-Sorbonne). Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages sur la politique étrangère contemporaine. De 2005 à 2013, il a été responsable d’édition de l’émission « Un jour dans l’histoire » à Canal Académie, la radio web de l’Institut de France. Depuis 2008, il est chargé de la rubrique de diplomatie pontificale dans le bimensuel L’Homme nouveau

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