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Faut-il supprimer le Sénat et en finir avec le bicamérisme?

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Au lendemain du vote surprise du bureau du Sénat contre la levée de l’immunité parlementaire de Serge Dassault, le député socialiste des Hauts-de-Seine, Alexis Bachelay s’est déclaré favorable, sur Twitter, à la suppression pure et simple du Sénat. Une idée défendue depuis longtemps par Marine Le Pen : « Dans des temps extrêmement difficiles, où il y a une inflation d’élus, je ne vois pas plus bien à quoi sert aujourd’hui le Sénat », a déclaré, une nouvelle fois, la présidente du Front national, LCI et Radio Classique, la semaine dernière. Alors faut-il supprimer le Sénat ?  Nous avons posé la question à Didier Maus, président émérite de l’Association française de droit constitutionnel. Entretien.

JOL Press : Quelle est l’utilité du Sénat ?

Didier Maus : Il faut toujours partir de l’histoire. Depuis la IIIe République, la France a deux assemblée et les Français y sont très attachés : ils ont refusé le projet constitutionnel de 1946 prévoyant sa suppression et lorsqu’en 1969, le Général de Gaulle leur a reposé la question, ils s’y sont une nouvelle fois opposé. Cette disposition bicamérale est d’ailleurs assez classique dans les différentes démocraties : en Angleterre existent la Chambre des Communes et la Chambre des Lords, en Italie, la Chambre des députés et le Sénat de la République, en Allemagne, le Bundestag et le Bundesrat…

Ce système des deux chambre est répandu parce qu’on considère que lorsqu’il y a deux assemblées, les intérêts des Français sont mieux représentés. L’intérêt c’est d’avoir deux expressions de la Nation différentes, l’une représentant le peuple de manière démographique et l’autre représentant le peuple de manière territoriale, puisque le Sénat représente les collectivités territoriales. C’est le dialogue entre ces deux assemblées qui fait la loi.

JOL Press : Quelles sont les principales différences entre l’Assemblée nationale et le Sénat ?

Didier Maus : L’Assemblée nationale est élue au suffrage universel direct, le Sénat au suffrage universel indirect, à travers des modalités électorales totalement différentes. La Constitution de la Ve République a un grand avantage : elle ne permet pas  au Sénat de bloquer le processus parlementaire puisque s’il y a un désaccord entre les deux assemblées, ce sont les députés qui tranchent et le gouvernement n’est pas responsable devant le Sénat. La situation est donc bien meilleure que sous la IIIe République.

L’Assemblée nationale est l’expression  de la volonté politique qui soutient le gouvernement. Le gouvernement est responsable devant l’Assemblée et l’Assemblée peut être dissoute, ce qui n’est pas le cas du Sénat. La volonté politique pure est exprimée à l’Assemblée nationale. Au cours de la Ve République, nous avons constaté que le gouvernement n’avait eu que très rarement de soucis avec l’Assemblée nationale, en revanche, il est arrivé souvent que le Sénat soit dans une opposition totale au gouvernement. Je pense en particulier aux gouvernements de gauche. Et même lorsque le Sénat votait contre toutes les propositions du gouvernement, l’exécutif a toujours pu gouverner dans d’excellentes conditions.

JOL Press : En septembre 2011, pour la première fois de son histoire, le Sénat basculait à gauche, mais le gouvernement dispose d’une trop faible majorité pour espérer pouvoir compter la chambre haute. Comment analyser cette situation ?

Didier Maus : La situation d’aujourd’hui est très originale : la majorité est de gauche au Sénat mais c’est une gauche qui n’est pas gouvernementale. Le groupe UMP est plus important que le groupe socialiste. Il suffit donc qu’un groupe s’abstienne et un texte est rejeté.

Il ne faut pas, sous prétexte qu’on traverse une situation politique particulière, remettre en cause les institutions. Nous verrons, au mois de septembre, après le renouvellement du Sénat, si la majorité de gauche est renforcée ou si le Sénat passe à droite. Tout cela dépend des élections municipales. Il ne faut pas non plus s’étonner que dans un système démocratique, il y ait des désaccords entre les deux assemblées.

Du point de vue sénatorial, la situation est d’autant plus originale que le poids du Sénat est très faible actuellement. Quand le Sénat est dans la majorité, il a un poids important dans la navette entre les deux assemblées, par le biais des amendements. Aujourd’hui, l’Assemblée a le dernier mot et ne tient pas forcément compte de l’avis du Sénat.

JOL Press : « Les sénateurs avaient leur justification lorsqu’ils défendaient les petits maires, or les lois sur les communautés de communes forcées, votées également par les sénateurs, retirent (aux maires) quasiment l’intégralité de leurs droits », a déclaré Marine Le Pen. Les sénateurs auraient-ils donc perdu de vue l’intérêt des petits élus ?

Didier Maus : Le Sénat représente les collectivités territoriales et sur les lois qui intéressent les collectivités territoriales, le Sénat joue son rôle mais en même temps il sait que s’il est en désaccord avec l’Assemblée nationale, ou s’il n’arrive pas à trouver un compromis avec elle, il sera désavoué. La situation politique est nouvelle, il faut donc que les comportements s’y adaptent. La suppression du Sénat n’est pas à l’ordre du jour, car il joue son rôle.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Didier Maus est professeur à Aix-Marseille université et président émérite de l’Association française de droit constitutionnel. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de droit constitutionnel.

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