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Il sort de prison après 38 ans : comment est-ce possible ?

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JOL Press : Comment un homme condamné pour un braquage à une peine de prison alourdie par la suite (évasions, violation de conditions de liberté conditionnelle…), mais n’ayant pas de sang sur les mains, peut passer 38 ans derrière les barreaux, quand des violeurs ou meurtriers sortent au bout de 10 ans ? Le système des remises de peine n’est-il pas inégal ?
 

Vincent Le Coq : Il faut remonter à 1975, pendant le procès. Le ministre de la Justice d’alors, Jean Lecanuet avait exigé une justice rapide, sévère… Le casse du CIC de l’Avenue de Breteuil était considéré comme extrêmement dangereux, dans son principe : au lieu de prendre l’argent dans la banque, ils le font venir par le biais de la police, en prenant des gens en otage.

Les banquiers ont donc peur que ce nouveau mode d’action se développe, et demandent une peine d’une extrême sévérité. Les accusés, dont Philippe El Shennawy, sont ainsi condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. « Nous, la société, n’avons pas retrouvé l’argent ; vous, bandits, ne retrouverez pas non plus le bénéfice de cet argent » dira alors le procureur, face à l’absence de preuves et de recouvrance du butin.

Par-dessus cette condamnation exemplaire est venu se greffer une sorte d’acharnement judiciaire, fondé sur un principe : en France, les juges ne se déjugent pas entre eux. Ainsi, au lieu de regarder les circonstances particulières qui ont motivé sa condamnation, les juges qui ont eu à reconsidérer son dossier se sont fondés sur les décisions antérieures de leurs collègues. En quelque sorte, ils ont prononcé une sanction en fonction d’une sanction, et non d’une faute.

Pour revenir sur les remises de peine, deux éléments entrent ici en compte. Le « zèle » avec lequel les juges ont traité ce dossier, et la personnalité propre de Philippe El Shennawy. Ce dernier ne reconnaissant pas ses torts, il n’accepte pas sa condamnation et refuse ainsi, intrinsèquement, de se soumettre à une peine de prison. Confiné à l’isolement et du fait de cette attitude, il ne peut donc bénéficier du jeu des remises de peine.

JOL Press : En dépit de cette situation, Philippe El Shennawy a été libéré sous conditions ce mercredi, par le biais d’une « grâce présidentielle partielle ». Accepter une grâce ne signifie-t-il pas, justement, accepter la sanction et donc, au fond, la culpabilité ?
 

Vincent Le Coq : Non, pas vraiment. Le système judiciaire, au fil des ans, a refusé à Philippe El Shennawy toute remise de de peine. Il s’est donc tourné vers le dernier recours restant, à savoir la grâce accordée par le Président de la République. Cette grâce est un pouvoir discrétionnaire du souverain.

Elle est totalement arbitraire, en ce que le souverain n’a pas à la justifier. Un décret de grâce n’est d’ailleurs pas publié au Journal officiel. Sous l’Ancien Régime ce pouvoir relevait du Roi ; depuis la Révolution, la grâce est accordée au nom du Président de la République. Le droit de grâce est l’un des derniers attributs de l’Ancien Régime.

En l’occurrence Philippe El Shennawy ne demande pas la grâce en reconnaissant sa culpabilité. La position de cet homme est de dire que si les juges s’opiniâtrent dans l’erreur et que tous les recours judiciaires sont épuisés, alors il faut user du derniers recours possible, fût-il extra-judiciaire.

JOL Press : On dit souvent qu’en France la peine maximale d’emprisonnement est de 22 ans, et que donc la perpétuité réelle n’existe pas. Pourtant, Philippe El Shennawy vient de prouver le contraire. Qu’en est-il réellement de la perpétuité dans le système pénal français ?
 

Vincent Le Coq : La peine maximale est de 30 ans. Ivan Colonna est parti pour faire 30 ans de prison, bien que sa peine n’ait pas forcément été assortie d’une sûreté incompressible. Il n’aura pas de remise de peine, donc il effectuera ces trente années.

A cette perpétuité (de 30 ans) s’ajoute la peine de rétention, instaurée par Nicolas Sarkozy. L’idée de départ est d’ailleurs intéressante.

Certains pervers réussissent très bien à s’accommoder à la prison. Malgré leur extrême dangerosité, ils ne posent aucun problème durant leur détention. Mais à leur sortie, ils sont toujours dans le même état. Se pose alors le problème de la relation entre la justice et la psychiatrie.

Lorsqu’une personne est déclarée déficiente mentalement, elle échappe ainsi à la prison et écope d’un internement en hôpital psychiatrique. Du coup, certains psychiatres vont dissimuler la folie d’un accusé pour le faire aller en prison au lieu de l’hôpital psychiatrique. Autrement dit, « plus il est dingue, moins il est dingue ». Le problème est alors sa dangerosité à sa sortie de prison, à l’issue de sa peine. D’où l’idée de la rétention de sûreté, infligée à un détenu sortant de prison en fonction de sa dangerosité estimée. 

Propos recueillis par Romain de Lacoste

Vincent Le Coq est un ancien avocat en droit public. Aujourd’hui Maître de conférences, il est l’auteur du livre « Pas de sang sur les mains » (paru en septembre 2013 aux Éditions du Rocher), qui retrace le stupéfiant parcours judiciaire de Philippe El Shennawy.

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