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In Amenas, un an après: un manque de coopération internationale?

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JOL Press : Un an après la prise d’otages à In Amenas, vous pointez dans votre enquête plusieurs zones d’ombre qui subsistent sur ce drame. La prise d’otages aurait notamment pu être facilitée par la complicité de certains travailleurs du site gazier, et par un manque de sécurité…
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces points ?
 

Walid Berrissoul : Dans le cadre de l’enquête algérienne, il y a eu au moins une arrestation, celle d’un travailleur qui travaille pour une société appartenant au frère d’une des figures de proue d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Abou Zeid, qui avait été tué par les forces françaises pendant l’opération Serval au Mali. Cette société, d’après les services algériens, travaillait depuis des années avec la compagnie pétrolière britannique BP. Mais ni BP ni l’Algérie n’ont voulu confirmer cela : ce sont des informations à prendre avec précaution.

Ce qui me convainc plus, ce sont les témoignages auxquels j’ai pu avoir accès et qui montrent que les terroristes n’ont pas pu agir sans complicité. Ces témoignages sont ceux des rescapés, mais également de quelques Algériens qui étaient sur place. Tous ont observé que le commando des terroristes circulait avec une facilité déconcertante sur le site, indiquant à la fois qu’ils savaient où aller pour attraper les expatriés, et à quel moment il fallait le faire. Ils ont par exemple agi au moment où un convoi d’expatriés partait pour se rendre à l’aéroport.

JOL Press : L’intervention de l’armée française au Mali a été évoquée comme une des causes de cette prise d’otages. Qu’en pensez-vous ?
 

Walid Berrissoul : Je pense plutôt que l’opération Serval, intervenue cinq jours avant au Mali, est un événement concomitant de cette prise d’otages. Je me souviens du journal Le Monde qui titrait que la guerre au Mali s’étendait à l’Algérie avec cette prise d’otages. Si l’on part de l’hypothèse que c’est une réaction à l’opération Serval, cela veut dire que l’on suppose que les ravisseurs ont tout préparé en fin de course.

Or j’ai du mal à imaginer qu’en cinq jours ils aient pu planifier une attaque aussi majeure sur un site gardé par des centaines de militaires algériens, sur un territoire, en théorie, assez bien surveillé. Le groupe de Mokhtar Belmokhtar [le djihadiste inculpé pour l’attaque d’In Amenas], largement rompu aux codes de la communication qu’utilise Al-Qaïda depuis plusieurs années, a évidemment joué à fond la carte de la réponse offensive contre le France à ce moment-là.

JOL Press : Quelle a été l’attitude des autorités algériennes depuis un an concernant cette affaire ?
 

Walid Berrissoul : L’autorité militaire algérienne a toujours suivi la même ligne, c’est-à-dire qu’elle assume d’avoir mené l’assaut pour sauver un maximum de personnes et pour sauver le site en lui-même. Elle assume également une ligne qui est plus politique et propre à l’Algérie, gravée dans son histoire depuis la guerre civile dans les années 90, à savoir la volonté de ne pas négocier avec les terroristes, quelles que soient les circonstances. Il y a eu des interrogations au sein de l’armée sur la façon dont ils ont pu être « bernés » par les terroristes, je pense que cela a été une vraie surprise pour eux.

Sur le plan judiciaire, la coopération entre la France et l’Algérie est au point mort, notamment concernant la mort du Français Yann Desjeux. La coopération judiciaire existe entre l’Algérie et d’autres pays concernés par la prise d’otages d’In Amenas, en particulier la Grande-Bretagne et les États-Unis. La France aura peut-être une réponse de l’Algérie, comme cela a été le cas sur d’autres dossiers comme celui des moines de Tibhirine.

JOL Press : Quel est aujourd’hui le sort des personnes qui ont survécu à l’attaque ? Ont-elles été dédommagées ?
 

Walid Berrissoul : C’est une question qui se pose toujours, ce sont des dossiers en cours, qui prennent du temps. La question des dédommagements est évidemment importante, mais c’est difficile sur cette question de répondre à la place des rescapés. Les survivants et les familles des victimes sont aujourd’hui dans une attente de réponses, sur ce qui s’est passé exactement.

JOL Press : Pensez-vous que l’on saura un jour la vérité sur cette prise d’otages ?
 

Walid Berrissoul : J’espère que cela prendra moins de temps que l’affaire des moins de Thibirine par exemple. Le contexte est différent, les relations entre la France et l’Algérie se sont quand même apaisées. Est-on obligés d’attendre dix ou quinze ans avant que les deux pays puissent collaborer ensemble ? Je n’espère pas. Mais il y a des chances que cela prenne du temps.

La spécificité du drame d’In Amenas, c’est que l’on a rarement vu une attaque terroriste où autant de pays sont concernés en même temps. Le jour où l’attaque s’est passée, il y a avait des gens de neuf pays différents touchés directement par cette attaque.

Il y a des enquêtes ouvertes dans la plupart de ces pays-là. On aurait pu imaginer que pendant l’année qui vient de sécouler, une collaboration entre les pays puisse se mettre en place ; que, de manière un peu inédite, il y ait des avancées dans la coopération, afin non seulement de trouver la vérité sur In Amenas, mais dessayer aussi d’aller plus loin dans la lutte commune contre le terrorisme. Cela na malheureusement pas été le cas. J’espère que les prochains mois marqueront une avancée de ce côté-là.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Walid Berrissoul est journaliste au service reportage d’Europe 1 depuis trois ans. Le 16 janvier 2013, il a couvert, depuis Paris, la prise d’otages. Il est l’auteur, avec la Française rescapée Murielle Ravey, d’In Amenas, Histoire d’un piège, Éditions de La Martinière, janvier 2013.

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