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IVG, mariage gay… comment expliquer le malaise de la droite

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Dans un entretien accordé au Parisien, le délégué général au projet de l’UMP, Hervé Mariton, a regretté que l’UMP ne fasse aucune place aux questions de société dans son projet. « Ce volet était initialement prévu dans notre projet. Mais certains de mes petits camarades ont considéré que ce sujet devait plutôt être repris après les municipales et qu’il n’avait pas à figurer dans les mesures que nous allons présenter. Je me plie donc à la majorité. Mais faites-moi confiance pour en reparler après… » a expliqué le député de la Drôme.

Selon lui, l’UMP devrait « encourager la famille durable père-mère-enfant, mettre fin à l’adoption par les couples de même sexe et enfin garantir à ces mêmes couples une alliance civile plutôt qu’un mariage. » Pour quelles raisons l’UMP est-elle si mal à l’aise sur ces questions ? Eléments de réponse avec Gaël Brustier, chercheur en sciences humaines.

JOL Press : Sur le mariage homosexuel ou sur l’IVG, la droite peine à unifier son discours. Comment l’expliquer ?

Gaël Brustier : Il n’y a pas qu’une droite : la droite partage l’idée selon laquelle la France est en déclin mais elle ne donne pas forcément les mêmes traductions à cette idée. Nicolas Sarkozy a su synthétiser ces différentes sensibilités et fédérer cette grande famille mais aujourd’hui l’absence de leader à droite rend cette synthèse beaucoup plus difficile. Plusieurs courants existent au sein de la droite : la droite libérale économiquement et sur le plan des mœurs, la droite libérale économiquement et conservatrice sur le plan des mœurs, la droite anti-libérale et conservatrice et la droite anti-libérale et plutôt ouverte sur le plan des mœurs.

Un populisme conservateur s’est mis en place l’année passée, lors des manifestations contre le mariage homosexuel, qui représente aujourd’hui une force organisée. Cette base a décidé de mener un combat idéologique et culturel qui passe notamment pas la mise au pied du mur de son propre camp. Sur Internet ou dans la rue se développe ce conservatisme identitaire qui met en accusation les leaders de la droite comme des traîtres qui s’allieraient à la gauche.

Les élites de droite ont évolué vers un libéralisme culturel, à l’instar de Nathalie Kosciusko-Morizet ou Franck Riester, et en face d’eux se lève un peuple de droite qui se radicalise et que la crise précipite dans des paniques morales.

JOL Press : Ce courant conservateur au sein de la droite est-il minoritaire ou trouve-t-il de plus en plus d’écho ?

Gaël Brustier : Le populisme conservateur révélé par la Manif pour tous n’est pas majoritaire. Dire que la droite et l’UMP seraient otages de ces groupes-là serait faux. C’est, en revanche, une base extrêmement active qui est beaucoup plus organisée que la frange la plus progressiste du parti.

JOL Press : Comment la droite a-t-elle évolué au cours des dernières années sur ces questions ?

Gaël Brustier : La gauche défend une politique de progrès social et sociétal mais c’est la droite avec Lucien Neuwirth en 1967 qui autorise la contraception, et la droite encore qui, avec Simone Veil en 1974, fait adopter l’IVG. Il existait alors à droite une tradition centriste à l’écoute des attentes de la société sur les questions de mœurs. Aujourd’hui, c’est un peu différent car, si les élus sont relativement modérés, une certaine partie du peuple de droite se radicalise et s’organise. Ce phénomène nouveau ne doit pas, pour autant, être interprété comme un basculement de tout l’électorat de droite vers un conservatisme moral.

Cette droite conservatrice et activiste sait qu’elle est minoritaire, et c’est ce qui la pousse à se faire entendre.

JOL Press : Si l’UMP abandonne le combat sur ces questions-là, que va-t-il se passer au sein de son électorat ?

Gaël Brustier : La droite est embêtée parce qu’elle est tiraillée entre la réalité d’un électorat de plus centriste et un autre plus radical. Cette situation force les cadres de l’UMP à jouer des jeux tactiques, c’est le rôle de la politique. La politique n’exige pas d’être idéologiquement toujours claire. La droite a horreur de l’idéologie, elle va donc autoriser certains des siens à tenir un discours conservateur et dans un même temps ne pas se montrer fermée à tout progrès. Cette dualité existe depuis toujours à droite : tous les électeurs et les élus de droite n’étaient pas unanimement favorable à la légalisation de l’avortement. Du temps de De Gaulle, la droite était divisée sur la question des transplantations cardiaque, demain elle sera divisée sur la fin de vie. Le rôle de l’UMP c’est justement de gérer ces contradictions.

La ligne politique d’un parti peut être dominante, ce n’est pas pour autant qu’elle sera interprétée de la même manière par tous. Les positions divergent selon la géographie, le milieu social ou encore l’histoire de chacun.

JOL Press : Les questions sociétales sont-elles suffisamment importantes pour devenir un enjeu lors des prochaines élections ?

Gaël Brustier : A court terme, la Manif pour tous ne risque pas de peser bien lourd lors des prochaines élections. Un certain nombre de personnes se sont investies en politique à la suite de ce mouvement, si cet engagement n’aura pas d’impact immédiat, à moyen terme, la question du réalignement électoral se posera et ces cadres de demain imposeront peut-être leurs vues.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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