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«La corruption: deuxième sujet de préoccupation des Espagnols»

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JOL Press : L’Espagne, frappée par plusieurs scandales de corruption ces derniers mois, passe de la 30e à la 40e place dans le classement de Transparency International. Quelles sont les affaires de corruption qui ont secoué l’Espagne en 2013 ?
 

Miguel Angel Ferris : Ce ne sont pas uniquement les derniers scandales qui ont fait dégringoler l’Espagne dans ce classement en 2013. Il y a eu certes de nombreuses affaires de corruption politique telles que Nóos ou d’autres scandales liés à la famille royale, mais aussi au Parti populaire, à la majorité des porte-paroles du gouvernement actuel ainsi que de « l’ère Aznar ».

Mais un grand nombre d’affaires non résolues se sont accumulées en 2013 et le resteront en 2014. L’opinion publique a découvert que la majorité des politiques corrompus n’avaient pas été condamnés, n’avaient pas rendu l’argent public qu’ils avaient détourné, et n’avaient toujours pas démissionné de leurs fonctions officielles. Les partis politiques impliqués dans ces scandales (PP , PSOE et CiU ) n’ont pas non plus reconnu leur financement illégal.

La monarchie espagnole n’a pas montré que « tous les Espagnols étaient égaux devant la loi » : certaines personnes corrompues ont même été promues en politique, d’autres ont été réhabilitées par le gouvernement, ou devraient l’être sous peu. C’est pour toutes ces raisons que la corruption est devenue le 2ème sujet de préoccupation pour les Espagnols, alors qu’il n’occupait que la douzième place il n’y a pas si longtemps. 

JOL Press : Vous organisez des excursions originales baptisées « Routes du gaspillage et de la corruption » à Valence. Comment les Espagnols réagissent-ils face à ces scandales à répétition ? Sont-ils lassés ou au contraire plus mobilisés que jamais ?
 

Miguel Angel Ferris: Après l’indignation des citoyens ces quatre dernières années, le gouvernement espagnol n’a pas seulement échoué à corriger sa politique et à reconnaître ses erreurs, mais a intensifié ses décisions politiques d’austérité, les coupes budgétaires et le manque de transparence dans le domaine public, ce qui a suscité de vives réactions. Une partie de la population indignée s’est davantage impliquée dans les différents réseaux sociaux de solidarité et dans les mouvements citoyens comme notre collectif de journalistes «  Xarxa Urbana » qui a mis en place un programme intitulé « Route de la corruption et le gaspillage ».

D’autre part, de nombreux Espagnols placent leurs espoirs dans les changements électoraux qui pourraient survenir dans les prochains mois, notamment lors des élections municipales et régionales de mai et surtout fin de 2015. Une part très importante d’Espagnols mécontents de la politique du gouvernement a dû se prendre elle-même en charge pour des questions cruciales comme celle du travail et de la famille. Aujourd’hui, de nombreux foyers espagnols n’arrivent pas à joindre les deux bouts et viennent gonfler les chiffres de la pauvreté sur la péninsule ibérique. 

JOL Press : Au-delà de la « Rutas de despilfarro » à Valence, quelles sont les autres initiatives citoyennes qui ont émergé en Espagne pour faire face à la crise mais aussi pour exprimer la colère contre le système bancaire et la classe politique ?
 

Miguel Angel Ferris: Les initiatives citoyennes sont nombreuses en Espagne. Certaines associations dénoncent la corruption de la classe politique, d’autres les coupes budgétaires drastiques du gouvernement, lorsque d’autres fustigent les privatisations. C’est le cas par exemple de la plate-forme des victimes du crédit hypothécaire (PAH), ou encore des différentes associations qui dénoncent la vente frauduleuse d’actions. Des groupes féministes se mobilisent également, comme le traduit la récente apparition des Femen à l’Assemblée contre le projet de loi sur l’avortement.

Depuis l’éclatement de la crise, une multitude d’expériences se développent pour faire face à la fraude ainsi qu’aux abus bancaires et immobiliers. Plus de 70 expériences de « monnaies sociales » ont ainsi vu le jour dans différentes régions espagnoles. Il est également important de rappeler la création d’une banque éthique ainsi que l’occupation de nombreux logements pour protester contre les expulsions. 

JOL Press: Comment se traduit  la mobilisation en Espagne contre le projet de loi sur l’avortement présenté par le gouvernement?  

 

Miguel Angel Ferris: Les protestations contre la  loi Gallardón, qui induit une restriction du droit à l’avortement, s’organisent et pourraient entraîner la renaissance du mouvement féministe en Espagne, ainsi que la création d’un lien entre tous les secteurs politiques et sociaux opposés au PP et à la droite conservatrice. De nombreuses initiatives ont été proposées, comme l’organisation d’un réseau de centres clandestins pour pratiquer l’IVG, semblables à ceux qui existaient pendant la dictature de Franco. Il est également question d’un recours à plusieurs organismes internationaux qui affrèteraient des bateaux pour pratiquer des avortements dans les eaux internationales au large des côtes espagnoles. Certains médecins, défenseurs du droit à l’avortement, se sont déjà fait à l’idée qu’ils finiraient en prison…

JOL Press: Quels sont les autres projets sur lesquels le collectif de journalistes dont vous faites partie travaille en moment ?
 

Miguel Angel Ferris: Notre projet actuel s’attache à « exporter » nos « Routes citoyennes » de Valence  à d’autres villes espagnoles. Nous sommes parvenus à obtenir l’aide de plusieurs ONG de Madrid ainsi que d’un groupe de Séville. Parallèlement, nous travaillons à l’élaboration de notre journal « Xarxa Urbana » dont la diffusion est relativement importante à Valence, contribuant ainsi à la chute des politiques corrompus.

Nous sommes également en train de travailler sur un nouveau projet intitulé Las Ruta de las Otras Valencias – les routes de l’autre Valence – dans lequel nous racontons aux citoyens les histoires cachées des personnes persécutées et réprimées dans cette ville depuis la Reconquista au treizième siècle, en passant par la répression des juifs et des Maures, au régime dictatorial de Franco. 

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