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La richesse est-elle morale?

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Depuis l’an 2000, nous assistons à une explosion de la richesse mondiale. Désormais la planète compte 12 millions de millionnaires, dont 500 000 en France. Heureusement, malgré la crise, la pauvreté s’est en même temps réduite plus vite que prévu sur la planète.

Trois causes à cette progression spectaculaire des fortunes :

– Une forte croissance mondiale (sauf en Europe).

– La révolution numérique qui multiplie les jeunes millionnaires.

– La domination croissante des financiers, maîtres du jeu de l’argent.

Les riches ont gagné sur tous les tableaux : l’argent, l’influence politique et souvent le contrôle des médias. Et l’on ne voit pas venir ce qui pourrait s’opposer à leur pouvoir. Mais contrairement aux clichés, les Français ne détestent pas les riches et souvent les admirent. En même temps les inégalités s’accroissent et peuvent déstabiliser nos sociétés. Comment réduire cette fracture devient la question primordiale des vingt prochaines années.

Extraits de Pourquoi les riches ont gagné, de Jean-Louis Servan-Schreiber, (Editions Albin Michel –  janvier 2014)

Un riche peut-il avoir la conscience tranquille ? Les Français détestent-ils les riches ? Aimer l’argent pour en faire ou pour en jouir est-il pathologique ? Peut-on être riche et honnête ? Les riches iront-ils au paradis ou sont-ils marqués au front par l’opprobre ? Dès qu’il s’agit de richesse, la morale et la religion se mêlent confusément à la rationalité.

En France tout particulièrement, imprégnée à la fois de catholicisme et de tradition révolutionnaire, on se réclame couramment de la morale judéo-chrétienne. Mais, concernant l’argent et la richesse, catholiques, protestants et juifs n’ont pas la même position. Pour les protestants et les juifs, faire de l’argent est légitime, mais il faut penser aux plus pauvres et en distribuer une partie. Les juifs se souhaitent même mutuellement santé et prospérité financière. Pour sa part, l’éthique protestante a été, selon Max Weber, un puissant ferment du capitalisme, accompagné aussi d’une forte incitation à la charité.

Les catholiques, eux, sont restés plus fidèles à la radicalité du Christ, qui voyait mal les riches entrer dans le royaume des cieux. Fidèles, au moins en doctrine.

[image:2,s]En pratique, il ne faut pas oublier que c’est la vente des indulgences au XVIe siècle qui a scandalisé Luther, au point de lui faire créer une religion « réformée ». L’Église monnayait alors des certificats garantissant le rachat des péchés de l’acquéreur. Et l’on disait aussi « gras comme un moine » alors que les pauvres manquaient de l’essentiel. Cinq siècles plus tard, pourtant, le discours sur la primauté des pauvres fonctionne encore pour l’Église et le pape François en fait son blason.

Quand on a reçu une éducation, même laïque, dans une terre historique du catholicisme romain, on aura tendance à classer pauvres et riches de manière plus binaire qu’ailleurs. En Asie, en revanche, il n’y a pas de prévention de principe contre la richesse, du moment que cette dernière traite bien les plus défavorisés. Dans nos pays, la religion, désormais, joue un rôle de terreau sociologique, plus que de source de la morale et de la loi. Sur quelles bases établir une éthique contemporaine de la richesse ?

Si les critères n’en sont plus directement religieux, peuvent-ils être encore politiques ? La Révolution de 1789 est restée, deux siècles durant, la mère de toutes les références idéologiques, mais aussi des clivages les plus persistants. Son legs, peut-être le plus durable, est le mot « Égalité » au frontispice de la République. Car « Liberté » n’a rien d’original, toutes les révolutions s’en réclament. Quant à « Fraternité », elle demeure, pour l’instant, à venir.

Necker lui-même, pourtant peu porté à l’extrémisme, disait que l’égalité est « l’idée même » de la Révolution. Mais aujourd’hui on vit, selon Pierre Rosanvallon, le défenseur le plus convaincu de l’égalité, « une véritable contre-révolution », car les inégalités s’accroissent et s’accélèrent, sans fortes réactions politiques. «On n’a jamais autant parlé d’inégalités, écrit ce dernier, en même temps qu’on n’a jamais aussi peu agi pour les réduire. » Selon lui, la gauche, sa maison, qui était le parti de l’égalité, est devenue celui de « la dépense publique et de l’impôt ».

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Journaliste, fondateur du groupe de presse économique L’Expansion, président de Human Right Watch France, directeur du magazine CLÉS, Jean-Louis Servan-Schreiber est l’auteur de plusieurs livres chez Albin Michel (repris au Livre de Poche): Le Nouvel Art du temps, Vivre Content, Trop vite, Aimer, quand même le XXIe siècle.

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