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L’affaire Vincent Lambert relance-t-elle le débat sur l’euthanasie?

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Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a décidé, jeudi 16 janvier, de maintenir en vie Vincent Lambert, un tétraplégique en état de conscience minimale depuis cinq ans après un accident de la circulation. Selon Marisol Touraine, la ministre de la santé, cette affaire prouve que la loi Leonetti ne suffit pas. La loi Léonetti a-t-elle des défaillances ? Eléments de réponse avec Lucie Hacpille, auteure de Question de l’Euthanasie – La Loi Leonetti et ses Perspectives (L’Harmattan – janvier 2013). Entretien.

JOL Press : En décidant de couper l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert, les médecins avaient-ils respecté la loi Leonetti ?

Lucie Hacpille : La loi Léonetti prévoit que, dans un cas comme celui de Vincent Lambert, il y ait des entretiens longs avec le malade lui-même, les infirmières, les spécialistes de la pathologie en question, les médecins qui s’occupent du malade, afin que les médecins puissent se faire une idée de l’état de santé du malade. C’est ce qu’on appelle le pronostic. Le pronostic passe par des chiffres statistiques et des groupements de malades, c’est une opération mathématique.

Dans le cas de Vincent Lambert, il y a eu des entretiens avec le malade, son épouse et ses parents et les professionnels de santé. Les médecins se sont ensuite réunis, ont mis en commun leurs données, c’est ce qu’on appelle la collégialité dans la loi Léonetti. Dans la mesure où ce travail clinique est fait correctement, la loi Léonetti – même si cela peut paraître choquant d’arrêter la nutrition et l’hydratation – est respectée.

La loi met aussi en avant les directives anticipées. Vincent Lambert n’avait pas laissé de directives anticipées. Pour prendre sa décision, le corps médical devait donc consulter la personne de confiance qu’il avait désignée, ou sa famille.

JOL Press : Pourquoi certains se servent-ils de cette affaire pour pointer du doigt les défaillances de la loi Leonetti ?

Lucie Hacpille : Le problème de cette loi c’est qu’elle est mal connue et donc mal respectée. Les gens n’ont surtout pas appris à s’en servir. La loi offre une lecture générale des situations, elle n’obéit pas à un cas unique. La loi Léonetti permet d’arrêter la nutrition et l’hydratation, en accompagnant les proches et en veillant à ce que le malade ne souffre pas jusqu’à sa mort.

JOL Press : Selon l’avocat de des parents de Vincent, Me Triomphe, « la loi Leonetti ne peut pas s’appliquer pour Vincent. Elle s’applique aux droits des malades et des personnes en fin de vie. Or Vincent n’est ni malade, ni en fin de vie. Il est handicapé ». Qu’en est-il ?

Lucie Hacpille : La loi Léonetti est, en effet, prévue pour les malades en fin de vie, mais un malade en fin de vie est un malade dont la maladie, naturellement, conduit à la mort. Ce qui est le cas de Vincent Lambert. La loi n’est pas là pour fabriquer du suicide. Si le malade souhaite se suicider, il fait ce qu’il veut mais cela ne rentre pas dans le cadre de la loi. C’est normal de vouloir mourir quand on souffre. La médecine est là pour faire en sorte que le patient ne souffre pas, elle n’est pas là pour aider le malade à se suicider.

JOL Press : Jean Leonetti a expliqué que « cette jurisprudence pourrait aboutir à maintenir par précaution l’acharnement thérapeutique dans les traitements de survie ». Qu’en pensez-vous ?

Lucie Hacpille : En refusant l’euthanasie passive décidée par les médecins de Vincent Lambert, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne tend, en effet, à promouvoir l’acharnement thérapeutique. L’épouse avait, dans le respect des volontés de son mari, fait la demande d’arrêt de traitement. Les médecins ayant donné un avis favorable à cette demande, la loi Léonetti était respectée.

Médicalement, la décision du tribunal administratif est incompréhensible. On aurait besoin d’un éclaircissement sur le fond de la part du Conseil d’Etat parce que si la décision reste telle quelle, elle modifiera profondément, à l’avenir, toute les pratiques médicales actuelles et elle conduira à une augmentation de l’acharnement thérapeutique alors que, dans le même temps les Français nous disent qu’ils sont contre cet acharnement.

Le tribunal a retenu que Vincent Lambert n’avait pas laissé de directives anticipées et n’avait pas désigné de personne de confiance et a choisi d’écouter les parents plutôt que l’épouse et le corps médical. Aujourd’hui, bien plus qu’hier encore, on voit qu’il y urgence à lancer une véritable campagne d’information sur l’existence des directives anticipées, sur la personne de confiance, sur le soulagement de la douleur et comment on utilise cette loi.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Lucie Hacpille est philosophe et médecin. Elle a initié les activités rouennaises hospitalières et d’enseignement universitaires dans le cadre des soins palliatifs et de l’éthique à l’approche de la fin de vie. Administrateur à l’Association européenne des Soins Palliatifs (ONG-EAPC) et de la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs), elle a été chargée aux côtés de Maurice Chausson du dossier sur la question de l’euthanasie. A la demande du Conseil de l’Europe elle a rédigé le Rapport « Les décisions médicales dans les situations de fin de vie et les implications éthiques des choix possibles ».

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