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L’Érythrée, prison à ciel ouvert pour les journalistes

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JOL Press : L’Erythrée arrive en dernière position du classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse. Pouvez-vous nous dresser le profil de ce pays ?
 

Cléa Kahn-Sriber : Comme le classement l’indique, la situation de l’Erythrée est tout à fait catastrophique. Depuis 2001, et le coup de force de l’actuel président, tous les médias indépendants ont été fermés. Il n’existe plus de presse indépendante et de nombreux journalistes ont été raflés, emprisonnés et ont ensuite disparu sans procès ni condamnation officielle.

Les mesures prises pour museler la presse indépendante ont été d’une extrême violence et selon les chiffres de Reporters sans frontières, l’Erythrée est considérée comme la plus grande prison africaine pour les journalistes. Une trentaine d’entre eux seraient actuellement détenus.

Ces journalistes sont retenus sans possibilité de recours, d’accès à un avocat ou à un juge, mais aussi dans des conditions plus que difficiles et inhumaines. Selon les témoignages d’anciens gardiens de prison que l’on a pu recueillir, les prisonniers font l’objet de tortures, de mauvais traitements réguliers, sont privés de soins médicaux etc.

JOL Press : Qu’en est-il des médias publics ?
 

Cléa Kahn-Sriber : A part quelques médias nationaux, qui comprennent deux ou trois journaux, deux stations de radios et deux chaînes de télévision, le monde de la presse est vide.

A ce jour, tout journaliste de médias publics qui divergerait de la ligne officielle se voit réserver le même traitement. Les journalistes qui travaillent dans ces médias publics sont donc condamnés à l’autocensure et ceux qui ne s’y résolvent plus s’exilent, ce qui comporte son lot de dangers comme le récent drame de Lampedusa en a été le témoin.

Même la traversée de la frontière à pied comporte son lot de dangers puisque les gardes-frontière érythréens tirent à vue sur toute personne susceptible de quitter le pays.

JOL Press : Que risquerait, aujourd’hui, un Erythréen décidé à s’exprimer et qui s’engagerait en écrivant ?
 

Cléa Kahn-Sriber : La sanction serait immédiate. Il serait emprisonné et s’il décidait de s’enfuir, des sanctions pourraient également être prises contre sa famille ou ses proches.

Même les journalistes en exil ne sont pas épargnés par l’emprise du régime. Tous continuent d’être très prudents pour ne pas attirer « l’œil de l’Erythrée ». La peur ne disparaît véritablement pas, même en dehors des frontières.

JOL Press : Comment sont informés les Erythréens et comment peut-on évaluer ce qu’ils connaissent du reste du monde et de l’actualité ?
 

Cléa Kahn-Sriber : Leur information quotidienne provient des médias publics et il est d’ailleurs édifiant de se rendre sur le site du ministère de la Communication et de constater la vacuité de son contenu.

Néanmoins, une radio indépendante, radio Erena, parvient à diffuser ses programmes à l’intérieur du pays. Cette radio est bien entendu en exil et elle est animée par deux journalistes érythréens qui sont installés en France. Radio Erena réussit à diffuser sur satellite, sur ondes courtes et sur Internet. Grâce à Internet, cette radio touche la diaspora érythréenne qui ensuite peut à son tour jouer un rôle de ré-information à travers ses contacts avec les Erythréens de l’intérieur.

Grâce au satellite et aux ondes courtes, Radio Erena touche également directement la population à l’intérieur du pays. Cependant, il est très difficile d’évaluer le nombre d’auditeurs. On peut néanmoins se fier aux appels reçus par la rédaction. Malgré la pression du régime, un certain nombre d’appels filtrent jusqu’au studio de radio Erena et c’est encourageant.

JOL Press : Comment expliquez-vous le vide d’informations qui entoure l’Erythrée, un pays dont on ne parle strictement jamais et qui reste pourtant une des pires dictatures du monde ?
 

Cléa Kahn-Sriber : L’information émise depuis l’Erythrée n’existe pas, il n’y a donc aucune source. C’est ensuite le propre de toute dictature de contraindre l’accès à l’information.

Il est vrai cependant que l’opinion publique internationale ne s’intéresse que de très loin à ce pays qui a pourtant eu une histoire exemplaire dans ses débuts. Une histoire de résistance, de lutte patriotique mais qui n’a pas réussi sa transition entre la lutte et le régime de gouvernance ce qui a transformé le pays en dictature.

JOL Press : Parvenez-vous à agir sur place ?
 

Cléa Kahn-Sriber : Malheureusement, l’Erythrée est un pays fermé aux journalistes et aux organisations non-gouvernementales internationales, donc nous n’avons pas de relations avec les autorités. Nous agissons en renforçant les réseaux de journalistes qui ont pu sortir du pays, les seuls qui peuvent donc travailler librement.

A travers Radio Erena, mais aussi à travers d’autres réseaux avec lesquels nous sommes en contact, nous essayons de relier les journalistes entre eux.

A l’intérieur du pays, nous n’avons cependant aucune communication avec les autorités, un lien qui nous permettrait d’entrer en contact avec les médias.

Propos recueillis par Sybille de Larocque

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