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Les «responsabilités historiques» de la France en Afrique: qui peut encore les comprendre?

En visite au Mali et en Centrafrique en ce début d’année 2014, Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, a invoqué les « responsabilités historiques » de la France en Afrique pour justifier l’intervention de nos forces armées. Ce n’est pas son seul argument, mais ça en est un qu’il ne redoute pas d’utiliser. Pourtant, les risques à invoquer ce rôle historique de la France en Afrique ne manquent pas.

Le premier d’entre eux est de réveiller un débat qui ne cesse d’agiter les historiens de la colonisation et de la décolonisation ainsi que les africanistes de tout poil sur les conséquences de la présence des puissances européennes sur les territoires africains aux XIX° et XX° siècles.

Ce débat là ne manque pas d’intérêt et ceux qui le mènent le font souvent avec une connaissance pointue qui permet à leurs lecteurs et auditeurs, à l’occasion de ces enjeux d’actualité lourds, de s’instruire un peu. La question du néocolonialisme n’est jamais loin, et si les uns et les autres tentent d’y répondre posément et avec expertise, elle a toute sa place dans le débat.

Pédagogie ministérielle

Le second risque en revanche est que l’appel à l’histoire ne serve en rien la pédagogie ministérielle. Que peut comprendre le téléspectateur qui, au détour de son zapping du soir, tombe sur ces déclarations de Jean-Yves Le Drian répétés en boucle sur I-télé ou BFM TV ? Et même celui qui regarde attentivement son JT de 20H sur TF1 ou France 2 ? Que veulent dire pour eux les mots « responsabilités historiques » de la France en Afrique ?

On peut espérer que les plus de 40 ans ont encore quelques souvenirs de leurs cours d’histoire du lycée sur la colonisation. Ceux-là se souviennent peut-être de la carte des empires européens en Afrique. Mais il y a fort à parier que les plus jeunes n’aient, eux, que des bribes de savoir dans la tête, déconnectées de toute trame chronologique, privées de toute contextualisation, fondées pour l’essentiel sur quelques polémiques qui ont émaillé l’actualité ces dernières années, faites de conflits mémoriels et d’interventions politiques plus ou moins courageuses sur les conséquences de la colonisation et de la décolonisation.

Chez ceux-là, les mots du ministres peuvent provoquer au choix deux réactions : certains, agacés que la France soit toujours tenue pour responsable de tout, grommelleront dans leur barbe qu’« il n’y a qu’à laisser ces Africains se débrouiller entre eux ». Les autres approuveront Sangaris en Centrafrique et Serval au Mali : la France est responsable des malheurs des Africains, pensent-ils.

C’est normal qu’elle prenne sa part dans le règlement de leurs conflits. Mais alors, si l’opération ne réussit pas, si Sangaris peine à obtenir les succès attendus, si les résultats d’une réconciliation palpable, et surtout « filmable », tardent à venir, la France sera encore responsable de ce qui sera perçu comme un échec.

En bref, en appeler à l’histoire dans le débat sur la politique internationale de la France, est plus que légitime mais ne peut plus être d’aucune aide pédagogique. Les références à l’histoire ne deviennent plus qu’une petite pierre du magma communicationnel qui, comme beaucoup d’autres, ne touchent plus les intelligences mais les affects.

Quand des connaissances précises ne sont plus inscrites durablement dans les cerveaux, avec la grille chronologique qui permet de les comprendre, la mémoire du passé ne devient qu’un ressenti comme un autre. Elle n’est plus un savoir auquel on peut faire appel pour mener une politique qui puisse être comprise. On pourrait rêver alors d’émissions d’actualité de l’histoire qui permettraient, à l’occasion d’une opération comme Sangaris, de venir combler ces lacunes immenses. Elles apporteraient au traitement médiatique des conflits une valeur ajoutée incontestable.  Il y a là, pour les médias, un défi immense à relever.

 

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