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Malaise dans la police: de quoi souffrent les forces de l’ordre?

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Le Figaro publiait, jeudi 30 janvier, les extraits d’un rapport rédigé par les préfets de 101 départements de France qui faisait état d’un malaise dans les rangs policiers. « Quand vous relâchez 65 % de ceux qui se sont rendus coupables d’un certain nombre d’exactions, comment voulez-vous que les chiffres baissent ? C’est tout à fait impossible. Vous pouvez multiplier par deux les effectifs de gendarmes dans les Bouches-du-Rhône, cela ne changerait rien », avait déjà alerté, en décembre, le général Soubelet, le numéro 3 de la gendarmerie, à l’Assemblée nationale.

Quelles sont concrètement les difficultés que rencontrent les forces de l’ordre sur le terrain ? Eléments de réponse avec Bruno Beschizza, ancien officier de policie devenu conseiller régional UMP de Seine-Saint-Denis.

JOL Press : « Tendues, les forces de l’ordre souhaiteraient être soutenues dans leur action par l’autorité judiciaire », expliquent les préfets de 101 départements de France. Qu’en pensez-vous ?

Bruno Beschizza : Ce rapport reprend les grandes lignes de ce que disent les syndicats de police depuis longtemps, qu’ils soient de droite comme de gauche. Ce malaise développé chez les policiers avait été soulevé en décembre par le général Soubelet, le numéro 3 de la gendarmerie, qui avait déclaré, devant la commission parlementaire de « lutte contre l’insécurité », que la réponse pénale était en décalage avec les infractions constatées.

La question qui se pose aujourd’hui aux gendarmes et aux policiers porte sur le sens de leur métier. On peut demander ce que l’on veut aux policiers, mais si, systématiquement, ce qu’ils font est défait par la justice – je préfère parler de justice car je ne souhaite pas opposer le magistrat au policier – leur métier n’a plus de sens ni pour eux ni pour leurs concitoyens. Cela ne sert à rien de communiquer sur le recrutement de davantage de policiers si leur travail est sapé. L’augmentation du nombre de cambriolages ne signifie pas qu’il y a plus de cambrioleurs en France mais que les cambrioleurs ne sont pas arrêtés et continuent de cambrioler.

JOL Press : Comment expliquer que l’autorité judiciaire n’aille pas au bout du travail opéré par les policiers et les gendarmes sur le terrain ?

Bruno Beschizza : Je crois qu’il y a, pour commencer, de réels problèmes matériels avec un sous-dimensionnement de l’appareil carcéral. Je serais pour la construction de 20 000 à 30 000 places de prison supplémentaires, malgré l’introduction en 2009 par Rachida Dati du principe d’aménagement des peines pour toute personne condamnée jusqu’à deux ans de prison. Il faut plus de places en prison pour mieux emprisonner, en fonction de la dangerosité et des délits commis.

Mais à ces problèmes matériels s’ajoutent des problèmes d’ordre idéologique. Depuis la conférence de consensus sur la prévention de la récidive lancée par Christiane Taubira, qui a eu lieu en février dernier, une idée se développe selon laquelle ce serait la prison qui développerait la récidive. En tant qu’ancien policier et élu de Seine Saint-Denis, je sais pour ma part que tant qu’un voyou est en prison il ne cause plus de tort.

JOL Press : Considérez-vous que la situation s’est dégradée ces dernières années ou déjà, lorsque vous étiez dans la police, vous rencontriez les mêmes problèmes ?

Bruno Beschizza : Quand j’étais dans la police, nous nous heurtions aussi au décalage entre notre travail et celui de la justice mais il y avait moins d’idéologie. En Seine Saint-Denis, certaines peines plancher ne sont pas appliquées sciemment par les magistrats. Aujourd’hui, les vrais voyous, ceux qui ont commis des crimes, n’ont plus peur de la police et de la gendarmerie, ils n’ont plus peur de la loi parce qu’ils savent que la loi ne le mènera que très rarement à la prison ou à une vraie sanction. Jusqu’aux années 90, les vrais voyous étaient vis-à-vis des forces de l’ordre dans un sentiment de crainte mélangé au respect.

Aujourd’hui le nombre d’outrages explosent. Quand j’étais policier et que nous avons commencé à alerté sur l’augmentation des outrages et des rebellions, on ne nous a pas écoutés. Du coup si maintenant vous traitez un policier de tous les noms d’oiseaux, vous ne risquez grand-chose. Cette barrière-là ayant été franchie, ce sont désormais dans les tribunaux que les gens menacent ou injurient des magistrats.

JOL Press : Comment alléger le métier des lourdeurs administratives qui allongent les procédures ?

Bruno Beschizza : Depuis 1993, des mesures concrètes ont été proposées pour alléger le travail administratif des policiers, mais force est de constater que les différents gouvernements n’ont fait que complexifier les procédures. On ne réalise pas qu’un enquêteur, avant de faire son enquête, avant de se mettre au service de la victime, est englué dans des problèmes de paperasse que la procédure lui impose sous-couvert de nullité. Sur 24 heures de garde-à-vue, les trois premières sont consacrées à de l’administratif. Et si le policier commet la moindre erreur, on peut déclarer sa procédure nulle. Ce n’est pas normal.

JOL Press : Quel est, selon vous, le principal mal dont souffrent les forces de l’ordre aujourd’hui ?

Bruno Beschizza : Les forces de l’ordre souffrent de la perte de sens de leur métier. Je rencontrais récemment un policier dans le métro qui me racontait qu’il avait arrêté un mineur 88 fois. Non seulement cette situation est une dénégation du métier de policier mais c’est aussi une injure pour la victime. Il faut se souvenir que le policier est l’un des seuls qui, quand il voit un délinquant, a souvent vu avant la victime. Et quand il faut expliquer à une victime qui est en train de porter plainte que le délinquant est dehors, c’est très compliqué.

JOL Press : Sans faire de politique politicienne, pensez-vous que Manuel Valls a conscience de ce malaise ?

Bruno Beschizza : Je pense que le ministre de l’Intérieur n’avait pas besoin de ce rapport pour connaître ce malaise parce qu’il est à l’écoute des policiers. Le problème c’est que Manuel Valls appartient à un gouvernement qui le laisse parler mais qui a plus tendance à suivre Christiane Taubira. Il peut dire ce qu’il veut mais tant que la traduction concrète de la politique gouvernementale ne va pas dans son sens, cela ne sert à rien.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Bruno Beschizza est conseiller régional d’Île-de-France, élu en Seine-Saint-Denis et secrétaire national de l’UMP en charge de la sécurité. Avant 2010, il était commandant fonctionnel de Police et secrétaire général du syndicat Synergie-Officiers.

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