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Manuel Valls, un ministre qui agace de plus en plus au gouvernement

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De la Place Beauvau au palais présidentiel, il n’y a que quelques mètres, mais un océan politique. Les résultats policiers de Manuel Valls, immanquablement, le rejoindront au tournant. Sur sa droite, on est déjà résolu à lui faire la peau. Sur sa gauche, on l’attend de pied ferme, prêt à le torpiller. Ses concurrents pour la suite des opérations, dans et hors le gouvernement, sont à l’affût du moindre faux pas.

Et puis, surtout, il y a François Hollande, qui est là, en face, dans son bureau de l’Élysée. Et bien là. Le plan de navigation s’annonce long et tortueux. Mais Manuel Valls, aux commandes de son go fast, appuie encore et toujours sur l’accélérateur, persuadé que son allure effrénée le gardera des avanies du temps.

Extraits de Valls, à l’intérieurde Laurent Borredon et David Revault d’Allonnes (Robert Laffont – janvier 2014)

« Lolo dodo ! » La plaisanterie est cruelle. Mais Manuel Valls ne peut s’empêcher de la rééditer à chaque déplacement présidentiel d’envergure, comme ce fut le cas en Algérie ou aux Emirats arabes unis. Chaque fois que Laurent Fabius s’endort, le ministre de l’Intérieur, toujours à l’affût, se fend illico d’un sms à ses collègues pour souligner l’état de fatigue du ministre des Affaires étrangères, sujet à de fréquents assoupissements, parfois dans les circonstances les plus incongrues. En prenant bien sûr soin de ne jamais le réveiller, afin d’exposer aux yeux du monde l’épuisement du patron de la diplomatie française. « Il ne réveille pas Fabius, il ne lui donne jamais de coups de coude. Il le laisse dormir devant les caméras », glousse un de ses collègues du gouvernement. Á cette règle, une seule exception : un jour, lors d’un séminaire rassemblant l’ensemble du gouvernement et alors que la parole échoit au patron du ministre des Affaires étrangères, une nouvelle fois somnolent, le ministre de l’Intérieur, assis à côté de lui, fait bruyamment retomber sa pile de dossiers sur sa table. Moins pour le réveiller que pour faire ricaner ses collègues…

[image:2,s]Cette habitude potache est moins anecdotique qu’il n’y paraît, véritable métaphore de cette opposition générationnelle entre l’ancien Premier ministre de François Mitterrand, dernier représentant d’une classe d’âge socialiste, et les jeunes loups aspirant à voir celle-ci enfin disparaître afin de monopoliser les premiers rôles. « Je comprends Manuel, poursuit ce ministre. Le fait que Fabius donne le spectacle d’un homme fatigué, endormi, absent, détaché, est plus l’image d’une fin de cycle politique que celle d’une reconstruction politique… »

« Lolo dodo ! » La moquerie ne doit pas faire illusion. Manuel Valls, dans l’équilibre gouvernemental, n’a rien d’un insolent perturbateur. Autour de la table du Conseil des ministres, chaque mercredi, le ministre de l’Intérieur semble bien installé dans le rôle du premier de la classe hollandaise. Voire dans celui du chouchou du président. « Tu sens qu’il jouit d’une place particulière, confirme un autre ministre. Il s’autorise des commentaires, parfois des petites vannes, toujours en essayant de faire rire. » Mais son zèle à défendre les consignes du chef de l’Etat n’amuse pas toujours les autres membres du gouvernement de Jean- Marc Ayrault. En particulier dans les rangs des ministres partisans d’un infléchissement, vers un positionnement plus à gauche de la ligne gouvernementale.

« Dans les séminaires, dès lors qu’on touche aux questions économiquement lourdes, il intervient toujours pour rappeler la ligne du président en expliquant qu’il n’y a pas d’alternative. Ce qui a pour conséquence d’agacer beaucoup de ministres », dit l’un d’eux, qui s’emporte : « Je veux bien recevoir des remarques du président et du Premier ministre, mais pas du ministre de l’Intérieur. Nous n’avons pas besoin de gendarmes au gouvernement. Cela ne figure pas dans ses décrets d’attribution ! » Une de ses collègues abonde : « Il utilise sa popularité comme un instrument pour se mêler des textes de tout le monde ou, dans les séminaires ministériels, donner son avis sur tout. Il s’est installé dans le rôle de celui qui met de la fermeté dans tout », explique cette ministre, qui s’emporte : « Moi, je ne suis pas rentrée dans le gouvernement de Manuel Valls ! »

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Journaliste au MondeLaurent Borredon est chargé des questions de sécurité et de délinquance, ainsi que l’actualité de la police, de la gendarmerie et du ministère de l’Intérieur.

Journaliste politique, auteur de Petits meurtres entre camarades et du choc : New York-Solférino ; Le Feuilleton DSK (tous deux chez Robert Laffont), David Revault d’Allonnes a été en charge du PS à Libération pendant onze ans. Il poursuit sa carrière à Europe 1 et aujourd’hui au Monde, ou il couvre l’Élysée et le gouvernement.

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