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Médicaments génériques: la France, mauvais élève européen?

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JOL Press : Lors de sa conférence de presse, mardi 14 janvier, François Hollande a regretté que l’usage des génériques soit « moins fort que partout ailleurs ». Quel marché représente aujourd’hui le médicament générique en France ? Sommes-nous un mauvais élève européen ?
 

Alexis Dussol : Avec 675 millions de boîtes vendues en 2012, le marché du médicament générique représentait 26,66% du marché pharmaceutique remboursable. En termes de valeur, le marché du médicament générique représentait 3 milliard d’euros soit 16% du marché pharmaceutique remboursable. Ce n’est pas négligeable. Certes, nous ne sommes pas en tête de peloton comme l’Allemagne,  l’Angleterre ou les Pays-Bas, des pays où la part des génériques représente plus de 60 % des quantités de médicaments vendus. La proportion atteint même 89% aux Etats-Unis et 81% au Canada. En France, nous en sommes à 24 % du marché en quantité et à un peu plus de 10 % en valeur. 

Mais nous ne pouvons pas non plus dire que nous sommes le mauvais élève européen. Il y a un clivage Nord/Sud en Europe avec un développement plus important du marché des génériques dans les pays du Nord. Nous avons des efforts à faire: c’est sans doute le message qu’a voulu faire passer le Président de la République lors de sa conférence de presse, mardi 14 janvier. 

JOL Press : Quelle est l’évolution de la vente de médicaments génériques en France depuis leur développement à la fin des années 90 ?  
 

Alexis Dussol : Le marché du médicament générique a réellement progressé en France depuis ses débuts en 1997. Par exemple en 2012, le taux de pénétration des génériques a tout de même atteint 83,7 %. Cela représente une augmentation de plus de 12 % depuis 2006. Si l’on remonte plus loin dans le temps, ce taux était de 59,6% il y a 10 ans, en 2004.  

En terme d’économies nous sommes passés de 222 millions en 2002 à  2,4 milliards d’euros en 2012. Au total, les économies s’élèvent à plus de 13 milliards d’euros entre 2000 à 2012. Il faut dire que nous partions de loin car le marché était quasi embryonnaire au début des années 2000…

JOL Press : Un récent sondage Ifop révèle une baisse de la confiance des Français pour les génériques. Cette méfiance est-elle une spécificité française ? Pourquoi les Français sont-ils encore sceptiques quant à leur efficacité ?
 

Alexis Dussol : Oui, je pense que la méfiance vis-à-vis du médicament générique est une spécificité bien française. Elle est le résultat d’une histoire. Nombreux sont ceux qui aujourd’hui continuent à alimenter cette méfiance. Je pense personnellement que la communication officielle autour du médicament  générique n’a pas était bonne. Plutôt que d’insister sur l’équivalence thérapeutique et la sécurité, l’accent a été mis sur le coût moindre du médicament générique: par conséquent, beaucoup de Français pensent qu’il s’agit d’un médicament « low cost »,  donc de qualité moindre !   

JOL Press : L’efficacité des médicaments génériques est-elle identique à celle des médicaments dits « princeps » ? Y-a-t-il des médicaments qui sont moins efficaces sous formes génériques, comme le Levotyrox que l’on dit difficilement « substituable »  ?
 

Alexis Dussol : Prenons l’exemple de la simvastatine, un médicament anti-cholestérol de la classe des statines. L’Assurance maladie a réalisé une étude sur 100 000 patients, suivis pendant 2 ans, afin de comparer l’efficacité du princeps avec celle de ses génériques. Trois critères ont été étudiés: des décès, des infarctus et des accidents vasculaires cérébraux. Sur la prévention de ces différents événements, l’étude a montré qu’il n’existait aucune différence d’efficacité entre le médicament princeps et ses génériques. Ces résultats sont conformes à ceux des principales publications scientifiques récentes qui confirment l’absence de différence en termes de résultats cliniques et d’effets secondaires entre médicaments princeps et génériques.

Les différences peuvent tenir à l’existence dans certains génériques d’ « excipients à effet notoire » qui peuvent modifier la tolérance de ces médicaments dans quelques cas rares. Il faut savoir que la présence de ces excipients à effet notoire n’est pas spécifique aux médicaments génériques. Ils sont présents aussi bien dans les princeps que dans les génériques. Leur présence est signalée aux professionnels dans le répertoire des groupes génériques pour toutes les spécialités (génériques et princeps) qui en contiennent. Pour les patients, ces excipients à effets notoires sont signalés dans la notice du médicament et dans certains cas sur son emballage.

Vous citez le cas du Levotyrox. Ce médicament fait partie des médicaments à marge thérapeutique étroite. Pour ces médicaments, les concentrations efficaces et les concentrations toxiques sont très proches. Les concentrations dans le sang après la prise du médicament ne doivent donc pratiquement pas varier, sinon l’effet attendu risque de ne pas être obtenu ou des effets secondaires gênants risquent d’apparaître. C’est la raison pour laquelle, la règlementation exige que les résultats comparatifs des paramètres pharmacocinétiques soient compris dans l’intervalle [90 %- 111 %] alors que l’intervalle habituellement exigé est compris entre 80 et 120% dans les études de bioéquivalence.

Il faut rappeler que lors de la pénurie récente de Lévotyrox, l’ANSM a décidé d’autoriser à titre « dérogatoire et temporaire » les pharmaciens à substituer même si la mention non substituable figure sur l’ordonnance.

JOL Press : Depuis 2007, la nouvelle « politique des génériques » ou TPCG, impose aux patients d’accepter les génériques pour bénéficier du tiers payant. Cette contrainte du tiers-payant est-elle la meilleure solution pour pousser les Français à acheter des génériques ?
 

Alexis Dussol : Même si l’application du TPCG a eu des vertus, la « peur du gendarme » n’est jamais la bonne méthode, comme en matière de sécurité routière. Il vaut mieux convaincre que contraindre. Il faut faire de la pédagogie. Il faut que les pouvoirs publics engagent une grande campagne d’information du public afin de répondre aux légitimes interrogations des Français. Je ne comprends pas que l’Assurance Maladie n’ait pas pris ce genre d’initiative sur le modèle de ce qu’elle a fait avec succès pour les antibiotiques autour du slogan bien connu : « les antibiotiques, ce n’est pas automatique ». 

JOL Press : La Mutualité française a récemment dénoncer la trop faible place réservée aux génériques. Quels sont les médicaments les plus consommés par les Français qui sont toujours exclus des génériques en France ?
 

Alexis Dussol : On pense bien sûr au Paracetamol qui n’est pas inscrit au répertoire et qui de ce fait ne peut être substitué. Seuls 15% de boîtes de Doliprane sont aujourd’hui substitués ! Les raisons sont juridiques. Elles peuvent être également économiques. Il n’y qu’à voir les manifestations d’employés d’UPSA qui se sont déroulées ces jours-ci à  Agen et qui craignent pour leur emploi en cas de passage du paracétamol en générique. On ne peut pas y être insensible.

JOL Press : Quelle est la stratégie des laboratoires pharmaceutiques face au développement des génériques ?
 

Alexis Dussol : Les laboratoires princeps ont changé de stratégie vis-à-vis des médicaments génériques. Après avoir pendant longtemps maintenu une stratégie de contournement certains laboratoires proposent leurs propres génériques. C’est le cas, par exemple, de Sanofi avec sa branche générique Zentiva en faisant valoir que les génériques et princeps sortent de la même chaîne de fabrication. Ce sont les fameux « auto-génériques » C’est de bonne guerre !

D’autres baissent le prix de leur spécialité princeps. On ne peut pas l’interdire. C’est la loi du marché. Ce sont les pharmaciens qui en bout de course décideront ou pas de substituer.

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Diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes de Santé Publique, Alexis Dussol est aujourd’hui PDG d’Adexsol et auteur du livre Le médicament générique (Editions PUF).

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