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Municipales: pourquoi les sigles politiques vont disparaître

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La conférence de presse et le tournant social-démocrate, François Hollande n’a pas fait que des heureux à gauche. Emmanuel Maurel, le chef de file d l’aile gauche du PS, a estimé que les électeurs de François Hollande en 2012 n’avaient pas voté pour « une politique sociale-libérale ». « En France, le social-libéralisme a très peu d’adeptes ». Et d’ajouter : « Ce que j’attends du président, c’est qu’il ne tourne pas le dos à cette voie singulière du socialisme français qui fait que, nous, Parti socialiste français, on ne saurait s’aventurer dans une voie à la Gerhard Schroeder ou à la Tony Blair ».

A droite, le malaise aussi est palpable. « S’il y a une politique qui redonne confiance aux entreprises, je la soutiendrais », a déclaré l’ancien Premier ministre UMP, François Fillon. Dans ces conditions, faut-il, comment faut-il envisager la campagne des municipales ? Les candidats mettront-ils en avant leur appartenance politiques ou meurs idées ?

JOL Press : Coupes dans les dépenses publiques, politique de l’offre, sociale-démocratie… Le nouveau discours de François Hollande a-t-il convaincu tous les socialistes ? Si ce n’est pas le cas, vont-ils le dire ?

Philippe Braud : Il est clair que le peuple de gauche a dû avaler une couleuvre lors de cette conférence de presse durant laquelle François Hollande a changé de valeurs et de références. On parle d’allègement des charges sur les entreprises alors qu’avant, à gauche, on parlait de cadeaux au patronat, on fait l’éloge de l’entreprise comme  créatrice d’emplois durables alors que jusqu’ici, pour un socialiste, c’était l’Etat qui était censé être le garant d’une véritable lutte contre le chômage. L’intitulé-même du « pacte de responsabilité » met en avant une valeur chère à la droite. A gauche, on parle plus de solidarité. Enfin la politique de réduction de la dépense publique n’est pas une politique à laquelle la gauche est habituée.

Ce tournant a dû mettre mal à l’aise une partie des parlementaires et a dû semer un trouble assez fort dans l’électorat traditionnel de gauche. Mais malgré tout, la dissidence risque d’être limitée chez les parlementaires parce que ce serait suicidaire. L’électorat de gauche est, quant à lui, habité par un sentiment de résignation. Par ailleurs, bien des gens comprennent  que la France ne pouvait pas durablement mener une politique économique différente de celle de la majorité des pays de l’Union européenne qui obtient de meilleurs résultats que la France.

JOL Press : Le « pacte de responsabilité » a aussi embarrassé l’opposition. François Hollande a-t-il rebattu les cartes avant les municipales ?

Philippe Braud : A mon avis, François Hollande a objectivement rebattu les cartes mais pas intentionnellement. S’il a choisi de changer de ton et de rhétorique, c’est parce qu’il y avait urgence à rassurer la Commission européenne et l’Allemagne. Mais il est vrai que chaque fois qu’on emprunte à l’adversaire son programme économique on fait un pari politique qui est assez souvent gagné. Je pense notamment à Tony Blair qui a emprunté aux conservateurs une partie de leur programme en mettant en place le « New Labour », en 1997.

La droite est placée, de fait, dans une situation difficile : soit les dirigeants de droite approuvent le gouvernement et se privent alors d’une grande capacité offensive, soit ils continuent à critiquer et ils peuvent apparaître alors comme inutilement teigneux ou sectaires, notamment de la part des entreprises.

JOL Press : Sur le plan économique, comment un candidat de l’UMP, un candidat du centre et un candidat PS vont-ils réussir à se démarquer, pendant la campagne des municipales ?

Philippe Braud : Pendant la campagne, les candidats vont aborder les questions économiques au niveau local. On discutera d’enjeux locaux et de finances locales. Alors effectivement, comme les augmentations d’impôts, au niveau national mais aussi local, ont été importantes, l’enjeu fiscal va être central. Mais cela ne veut pas dire obligatoirement que les électeurs vont profiter de ce scrutin pour sanctionner la politique du gouvernement, les électeurs vont plutôt sanctionner les maires qui auront été trop dépensiers. Et sur cette question, les maires de droite sont aussi bien concernés que les maires de gauche.

Lors des municipales, ce sont les enjeux locaux qui déterminent le choix des électeurs. Les sondages observent régulièrement ce phénomène. C’est moins vrai dans les très grandes villes, mais c’est massif dans les communes plus petites.

JOL Press : Dans ce contexte, les étiquettes politiques ne vont-elles pas être mises de côté pendant la campagne ?

Philippe Braud : Là encore, les allégeances partisanes jouent un rôle dans les grandes villes, comme Paris, Lyon, Nantes ou Strasbourg : quand on est de droite, à Lille, on vote à droite. Ceci étant dit, on vote moins pour un programme  que pour ou contre un bilan : on est satisfait du maire sortant parce qu’on a l’impression qu’il n’a pas trop augmenté les impôts, parce que les services publics ont l’air de bien tourner, etc. On se détermine par rapport à un bilan et beaucoup plus encore par rapport à l’image du sortant. Certains maires sortant ont une bonne image et un mauvais bilan et inversement.

Sur ce point, les socialistes vont être avantagés car ils ont beaucoup plus de maires sortants dans les grandes villes que la droite. Mais ce qui va permettre de dire que les uns ont gagnés et les autres ont perdus, c’est essentiellement les gains ou les pertes dans les grandes villes. A mon avis, la gauche va limiter la casse parce qu’elle a de bons sortants dans un certain nombre de grandes villes et parce que le Front national risque de faire de bons scores au premier tour. Or, on sait que la montée du FN favorise la gauche puisqu’elle divise la droite et le report des voies du Front national vers la droite, au second tour, n’est pas du tout assuré.

JOL Press : La droite est-elle plus mal partie que la gauche pour ces municipales, selon vous ?

Philippe Braud : Non, je ne dirais pas ça. Ceux qui ont le plus à craindre des municipales, ce sont les maires qui n’ont pas su gérer leur ville « en bon père de famille » et ceux qui ont augmenté exagérément les impôts. Au plan national, la gauche pourrait craindre un vote sanction contre la politique nationale – et ce vote, s’il ne sera pas massif, n’est pas à négliger –, mais ce qui compte, c’est le nombre de sortants de gauche qui réussiront à défendre leur bilan. Et ce nombre sera, à mon avis, relativement important.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Braud, ancien directeur du département de Sciences politiques de la Sorbonne, est professeur émérite des universités à Sciences Po Paris et Visiting Professor à l’université de Princeton (WoodrowWilson School).

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