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Municipales: pourquoi Marine Le Pen revoit à la baisse ses objectifs

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Quelque 120 listes seraient déjà bouclées et selon plusieurs sources, 350 listes sont montées aux trois quarts. Si Marine Le Pen refuse de se projeter pour les municipales de mars prochain, au FN, on estime que « 10-15 villes sont gagnables ». Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Saint-Gilles (Gard), Carprentras (Vaucluse), Cavaillon, Brignoles (Var), Fréjus, mais aussi Villers-Cotterêts (Aisne) font partie des principales cibles. Le FN a-t-il ses chances ? Décryptage avec Erwan Lecœur, sociologue et politologue spécialiste de l’extrême droite.

JOL Press : Marine Le Pen revoit à la baisse ses objectifs de listes pour les élections municipales des 23 et 30 mars. Comment l’expliquer ?

Erwan Lecœur : Marine le Pen a lancé sa campagne pour faire parler d’elle, pour montrer qu’elle était en force et qu’elle avait passé un cap, par rapport aux années précédentes. Mais le fait est que le Front national a toujours eu beaucoup de difficultés à s’implanter localement, à trouver des candidats capables d’emporter des mairies ou d’avoir de bons scores. Comme elle savait qu’elle avait le vent en poupe d’un point de vue médiatique depuis 2011, depuis son accession à la tête du parti, elle a alimenté l’histoire du succès indubitable du FN à toutes les élections qui allaient venir, dont les municipales, alors même que ce sont des élections très difficiles pour son parti.

JOL Press : A quoi faut-il donc s’attendre, dans cette perspective ? « J’espère atteindre les 500 listes », a déclaré la présidente du Front national, lundi 13 janvier, sur RTL.

Erwan Lecœur : Si le FN atteignait ces 500 listes, ce serait déjà beaucoup, puisque le dernier record de listes FN aux municipales date de 1995, année où le parti avait présenté 490 listes et gagné trois villes, à la grande période du mégretisme. J’ai toujours pensé que Marine le Pen faisait du mégretisme, revisité à sa manière. Si elle a aidé son père à se débarrasser de Bruno Mégret en 1998, cela ne l’empêche pas aujourd’hui d’appliquer sa stratégie d’implantation et de tentative de prise de pouvoir local, petit à petit, pour grignoter sur la droite.

Pour cela, Marine Le Pen a besoin de relais locaux, d’un nombre de petits élus municipaux suffisants pour s’implanter en profondeur. Sa victoire serait de réussir à avoir des maires divers-droite qui lui feraient comprendre qu’ils pourraient signer pour elle à la prochaine présidentielle et d’avoir un certain nombre d’élus pour avoir enfin, ce qui manque cruellement au Front national depuis toujours, des cadres locaux solides, capables de faire autre chose que répéter le discours du FN national.

JOL Press : Le FN assure que plus de 700 candidats ont reçu l’aval du parti. N’est-ce pas étonnant de compter si peu de candidats quand le parti est si haut dans les sondages ?

Erwan Lecœur : Ce n’est pas étonnant au regard de la sociologie des électeurs et des militants du FN. Ce ne sont pas des gens à qui on confierait facilement la gestion d’une ville ou même d’un syndicat intercommunal. A l’époque où le Parti communiste français voulait des cadres, il avait créé une école des cadres parce que certains de ses militants n’avaient pas fait d’études, ne savaient pas lire un budget ou ne savaient pas remplir tous les documents administratifs. C’est très compliqué d’être élu en France, car on a affaire à une machine administrative immense. Pour suivre et pour comprendre correctement les choses, il faut un niveau scolaire et culturel qui corresponde à ce que la France, en politique, est devenue.

JOL Press : Le vote FN sera-t-il encore contestataire lors des municipales ?

Erwan Lecœur : Le vote FN est plus qu’un vote contestataire, on constate de plus en plus d’adhésion sur le fond, au sein des électeurs du Front national, une adhésion qui se rapproche d’un « anti-systémisme ». Et Marine Le Pen l’a compris. Les Français sont plutôt laïcs, plutôt républicain et plutôt « antisystème », elle adapte son discours à la demande. Marine Le Pen est une véritable pragmatique. Sa politique est une adaptation à ce que les gens voudraient, selon un certain nombre de sondages et de médias. Les électeurs ne votent pas FN par adhésion pure et dure mais parce qu’ils y trouvent une force sociale qui est en train de prendre pied dans le champ politique.

JOL Press : Que cherche à montrer Marine Le Pen à l’occasion de ces municipales ?

Erwan Lecœur : Ce que Marine Le Pen veut montrer c’est que les municipales vont marquer une progression du Front national alors que les autres forces politiques sont en déclin et cette progression annoncera sa victoire aux européennes. Les municipales sont avant tout un tremplin nécessaire  pour ensuite faire un coup médiatique symbolique très fort aux européennes. Si le Front national remporte le plus de voix aux européennes, le message envoyé à l’ensemble de l’Europe sera tout-à-fait inédit et dramatique pour les défenseurs de la construction européenne.

En 1984, le FN avait déjà profité des européennes pour émerger sur la scène politique nationale. C’est la première élection à laquelle le FN avait fait 10%. Trente ans plus tard, Marine Le Pen souhaite à nouveau créer la surprise, en étant, cette fois-ci, devant l’UMP et le PS, ce qui n’est pas impossible, compte tenu de l’ambiance sociale.

A l’occasion de ces municipales, le FN ne peut pas espérer gagner une grande ville, il peut faire de bons scores dans quelques villes moyennes du sud et éventuellement remporter la mairie à Hénin-Beaumont mais les scores ne seront pas comparables aux municipales de 1995 où le FN a remporté les villes d’Orange, de Marignane et de Toulon. La grande victoire de Marine Le Pen en mars est donc à relativiser.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Erwan Lecœur est sociologue et politologue spécialiste de l’extrême droite, notamment du Front national. Il est l’auteur d’une thèse et de nombreux ouvrages. Parmi eux : Face au FN (Le Passager Clandestin – 2013), Dictionnaire de l’extrême droite (Larousse – 2007) ou encore Un néo-populisme à la française : Trente ans de Front National (La Découverte – 2003).

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