Après des mois de préparation, les acteurs internationaux du dossier syrien se retrouveront à Genève, dans une semaine, à l’occasion d’une conférence internationale très attendue. Il y a quelques semaines encore, la communauté internationale voulait résoudre la crise syrienne par les armes. Mais aujourd’hui, seule la diplomatie compte et à ce jeu-là, la plupart des pays s’accorderont sans doute autour du maintien de Bachar al-Assad au pouvoir, en échange d’un peu de calme dans un pays qui déstabilise dangereusement une région entière. Explications avec Frédéric Pichon, spécialiste de la Syrie et chercheur associé au sein de l’équipe EMAM de l’Université François Rabelais de Tours.
[image:1,l]
JOL Press : La conférence internationale Genève 2, prévue pour le 22 janvier prochain, approche et l’opposition au régime de Bachar al-Assad n’a toujours pas annoncé sa décision de participer ou non à cette réunion. Quelle seraient les conséquences de leur absence à Genève ?
Frédéric Pichon : A quelques jours de la date annoncée, tout le monde tente de persuader la Coalition nationale syrienne de participer à cette réunion. C’est une décision délicate pour eux dans la mesure où l’article 3 de leur charte fondatrice stipule qu’elle refuse toute négociation avec le régime actuel.
Cependant, leur marge de manœuvre est quasiment nulle puisque cette opposition est très peu connue par la popualtion en Syrie et carrément rejetée par les combattants sur le terrain.
Que ces opposants soient présents ou pas ne changera alors rien au processus et quand bien même il y aurait des résolutions de prises, ils n’auraient pas les moyens de les traduire sur le terrain.
C’est un des grands échecs de la communauté internationale : n’être pas parvenu à constituer une opposition solide et unie. Cependant, bien que la Coalition n’ait rien annoncé d’officiel, de nombreux responsables ont témoigné de leur volonté de s’y rendre. Ils savent qu’ils doivent négocier.
JOL Press : Négocier un accord politique en Syrie ?
Frédéric Pichon : Selon moi, la conférence ne portera pas sur des questions de politique ou même de transition. Les soutiens de l’opposition syrienne y ont renoncé et ces questions ont surtout déjà été résolues en septembre dernier lors de l’accord passé entre le secrétaire d’Etat américain John Kerry et son homologue russe Sergueï Lavrov : tout le monde doit se résigner à un maintien au pouvoir d’Assad.
Genève 2 consistera donc à obtenir l’agrément des puissances régionales et internationales, telles que la Russie, l’Iran, l’Arabie Saoudite ou encore les Etats-Unis, autour du dossier syrien pour obtenir une baisse de la violence sur le terrain.
L’idée sera de trouver ce qui peut être échangé contre un peu de calme dans la région car cette situation devient chaotique pour toute la région et même pour l’Europe si proche, notamment en raison de la menace islamiste grandissante au nord.
JOL Press : Il y a quelques mois à peine, l’option militaire était envisagée. Aujourd’hui l’option politique est-elle la seule qui prévaudra à Genève 2 ?
Frédéric Pichon : Oui, et cela a toujours été le cas. D’ailleurs, l’Arabie Saoudite, qui appelle depuis longtemps à l’intervention, voit la situation se profiler ainsi depuis septembre dernier et c’est pourquoi elle joue aujourd’hui son va-tout en ayant constitué des bataillons islamiques de 50 000 hommes.
Ce Front islamique témoigne du jusqu’au-boutisme saoudien, pourtant, l’Arabie Saoudite sait qu’il n’y aura jamais d’intervention.
L’option militaire est définitivement écartée, seule comptera désormais la diplomatie des grandes puissances et de ce point de vue, il ne faut rien attendre de plus de Genève 2 que ce qui s’est dit en septembre dernier. Nous sommes aujourd’hui dans le registre des relations internationales pures, froides et déconnectées de toute morale.
JOL Press : L’ambition initiale de Genève 2 qui était de constituer un gouvernement provisoire pour la Syrie est donc définitivement écartée…
Frédéric Pichon : Le régime syrien l’a rappelé à de nombreuses reprises, il ne s’agira pas de négocier une transmission du pouvoir. Et sur ce point, il ne lâchera certainement rien.
C’est le principe même de ce type de conférence, les parrains de la Syrie, l’Iran et la Russie en tête, négocieront pour le régime sur d’autres sujets tels que la mise en place de couloirs humanitaires ou de trêves ponctuelles.
Il ne faut pas oublier que ces pays sont particulièrement hostiles au droit d’ingérence et hostile à un précédent qui remettrait en cause la souveraineté d’un Etat. L’option d’un gouvernement provisoire peut être définitivement écartée.
JOL Press : Près de trois ans après le début du conflit syrien, on a le sentiment que les pays du Golfe, acteurs décisifs au départ, sont devenus secondaires dans le jeu politique. Est-ce le cas ?
Frédéric Pichon : Tout à fait, et cela se vérifie particulièrement avec le Qatar qui aujourd’hui se tient très en marge de la scène syrienne. Les Qataris ont bien vu que le vent avait tourné et ont changé de politique.
Quant à l’Arabie Saoudite, elle s’est marginalisée. Son comportement sur la scène internationale en a témoigné. En octobre dernier, alors qu’elle venait d’être élue comme membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, elle a finalement refusé ce siège. Plus tôt, le prince Bandar Ben Sultan Al-Saoud avait déclaré que les services secrets saoudiens réduiraient leur coopération avec la CIA.
Mais il n’y a pas que les pays du Golfe. La France est également marginalisée dans ce dossier. Le Quai d’Orsay comptait sur la chute de Bachar al-Assad, mais elle n’est jamais venue. Nous avons ensuite été décrédibilisés lors de l’épisode de l’intervention armée conjointe avec les Etats-Unis et aujourd’hui nous tentons d’adopter une posture politique.
Dans un article paru sur son blog, le journaliste Georges Malbrunot affirme même que d’anciens agents de la DGSE ont été envoyés à Damas dans la plus grande discrétion pour préparer « l’après » avec le régime syrien. Damas aurait d’ailleurs accepté cette première étape vers la normalisation en échange de la réouverture de l’ambassade française en Syrie.
Dans ce contexte, la réunion des Amis de la Syrie qui vient de se tenir à Paris relève davantage de la comédie.
JOL Press : Une chose paraît donc certaine désormais, Bachar al-Assad sera maintenu au pouvoir…
Frédéric Pichon : Oui, et on ne voit d’ailleurs pas ce qui pourrait l’empêcher de rester. Nombreux le disent depuis longtemps d’ailleurs, sauf événement inattendu, assassinat ou autre, le président syrien est parti pour rester et il a d’ailleurs annoncé sa volonté de se présenter à la prochaine élection présidentielle.
La situation change également sur le terrain. De nombreux Syriens, militants de l’opposition ou non, se retournent vers le régime car ce dernier est parvenu à faire triompher l’idée selon laquelle la solution n’était pas politique mais sécuritaire. Cela se vérifie sur le terrain, les zones reprises par l’armée ne sont pas contestées par la population.