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Perte de popularité : comment Manuel Valls peut espérer rebondir

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Mais ou va donc Manuel Valls ? Est-il, comme il l’affirme, l’homme sincère d’une gauche moderne et « réaliste », désireux d’adapter celle-ci aux réalités du XXIe siècle en menant un combat culturel pour lui apprendre à gouverner dans la durée ? Juste un redoutable communicant, à la méthode de surexposition médiatique éprouvée à l’ère des tweets et des chaînes d’infos en continu ? Ou plus prosaïquement un ambitieux d’un cynisme forcené, prêt pour s’imposer à tous les opportunismes idéologiques, jusqu’à l’abandon des idéaux les plus fondamentaux des socialistes ? Eléments de réponse avec Laurent Borredon, coauteur avec David Revault d’Allonnes de Valls, à l’intérieur (Robert Laffont – janvier 2014).

JOL Press : Manuel Valls a vu sa cote de popularité baisser dans les sondages. Est-ce à cause de l’affaire Dieudonné ou des chiffres de la délinquance ?

Laurent Borredon : Je pense qu’il est difficile d’attribuer la baisse de popularité de Manuel Valls aux chiffres de la délinquance annoncés jeudi pour l’année 2013. Il est certain que ces chiffres sont assez mitigés. On sait déjà que sur les atteintes aux biens, les cambriolages, le bilan est mauvais, en revanche, dans les zones de sécurité prioritaires, on constate de bons résultats. Si ces résultats sont à prendre avec prudence, il est clair que la baisse de popularité du ministre de l’Intérieur est due davantage à l’affaire Dieudonné.

Dans cette affaire, Manuel Valls a clivé. Il est apparu à la fois comme un homme efficace, confirmant sa ligne très volontariste, et à la fois comme un personnage clivant et critiqué, y compris dans son propre camps. C’est peut-être une des affaires, en dehors de la polémique sur les Roms et l’épisode Leonarda, où il est le plus apparu comme préférant l’ordre aux libertés publiques. Selon le baromètre mensuel BVA, Manuel Valls recule de 6 points à 49% d’opinions favorables, ce n’est pas massif mais significatif.

JOL Press : Quelle est la ligne politique de Manuel Valls ? Est-il prêt à tout pour un coup médiatique ?

Laurent Borredon : Chez Manuel Valls, les convictions rejoignent, en général, la communication et la stratégie de communication. L’affaire Dieudonné est certainement le meilleur exemple puisqu’il ne cesse de répéter que la lutte contre l’antisémitisme est l’une de ses préoccupations depuis des années. Dans l’affaire Dieudonné, il a agi selon ses convictions et n’a pas hésité à prendre le risque d’être critiqué ou incompris. C’est le cas aussi dans la plupart des coups médiatiques dans lesquels on a retrouvé Manuel Valls depuis un an et demi et même avant lorsqu’il était au PS. Il ne cherche pas à tout prix à faire des coups mais quand ces coups servent ses convictions, il n’hésite pas.

[image:2,s]JOL Press : A-t-il raté le coche pour devenir un jour Premier ministre ?

Laurent Borredon : La situation politique est telle qu’on ne peut pas dire qu’il soit trop tard pour qu’il devienne un jour Premier ministre, en revanche il a bien raté un coche. En décembre, il a failli effectivement accéder à la fonction de Premier ministre. Selon un sondage Ifop pour le site d’information Atlantico, publié en octobre, 30% des personnes interrogées répondaient alors qu’elles souhaitaient voir Manuel Valls à Matignon. Evidemment l’occasion pourrait se représenter mais on peut s’interroger sur la nécessité pour lui de lisser un peu son image qui a été un peu abîmée au cours des quatre derniers mois entre les Roms, l’affaire Leonarda et la polémique Dieudonné.

JOL Press : Qu’espère-t-il à présent ? Remplacer Jean-Paul Huchon ? Prendre la tête du PS ? Changer de ministère ?

Laurent Borredon : Ses options sont aujourd’hui assez limitées. Il ne semble avoir aucune envie de prendre la tête du PS, vu la situation du Parti socialiste actuellement. Manuel Valls n’a jamais tenté d’établir un courant ou un réseau au sein du PS, il n’aurait donc pas du tout les moyens de prendre la tête du parti si l’occasion se présentait. Il ne semble pas non plus intéressé par la région Ile-de-France même si certains de ses amis aimeraient qu’il se jette dans la bataille. Comme il le dit lui-même, le ministère de l’Intérieur est le ministère de l’actualité, cette fonction lui permet d’être en permanence dans l’action, c’est pour lui, actuellement, le poste idéal pour son image.

JOL Press : Mais il ne peut pas espérer rester cinq ans à l’Intérieur…

Laurent Borredon : Je pense que cinq ans à l’Intérieur c’est très long. En dehors de Matignon, il peut jouer la carte du retrait stratégique peu après les régionales mais il faut avouer que ses perspectives sont assez réduites.

JOL Press : Quelle présidentielle a-t-il intérêt à viser ? 2017 ou 2022 ?

Laurent Borredon : Quand on l’interroge sur le sujet, il prétend ne pas du tout s’intéresser à la question et explique que François Hollande sera le candidat naturel en 2017. Ceci dit, les difficultés du chef de l’Etat ne peuvent que l’encourager à y penser sérieusement. Mais tabler sur une défaite de François Hollande reste une stratégie compliquée car il ne peut pas la mener ouvertement. Cette barrière de 2017 est aussi la barrière de 2022 : si Hollande est réélu, que pourra proposer Manuel Valls aux Français après dix années de socialisme au pouvoir ? Dans tous les cas, il est un peu coincé.

JOL Press : Dans ces conditions, comment envisage-t-il son avenir politique ?

Laurent Borredon : Pour le moment, sa stratégie consiste à rester extrêmement présent médiatiquement, rester populaire et le jour où l’occasion se présentera, saisir sa chance, comme cela a failli être le cas en décembre dernier. Il se tient prêt pour être, éventuellement un jour, l’homme providentiel. C’est ce qui rend sa situation relativement difficile malgré sa popularité.

JOL Press : Le tournant social-démocrate de François Hollande sert-il Manuel Valls qui défendait cette ligne pendant la primaire PS ?

Laurent Borredon : Ce tournant montre qu’une grande partie de la gauche peut se convertir à ces idées sociales-démocrates. De point de vue-là, c’est une victoire idéologique pour Manuel Valls. Or il recherche en permanence la victoire idéologique. Il est, par exemple, très fier d’avoir pris part à la conversion de la gauche aux questions de sécurité. Le problème que l’on peut envisager, à long terme, dans ce tournant de François Hollande, c’est que ce nouveau discours assèche un peu son argumentaire éventuel pour 2017. Quelle alternative, si François Hollande est en difficulté, pourrait-il proposer si depuis trois ans on a mis en place une politique qui est la sienne ?

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Journaliste au Monde, Laurent Borredon est chargé des questions de sécurité et de délinquance, ainsi que l’actualité de la police, de la gendarmerie et du ministère de l’Intérieur. Valls, à l’intérieur est son premier livre avec David Revault d’Allonnes.

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