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Pourquoi faut-il lire «Sous le feu»?

C’est un livre qui commence comme un film. Une scène saisissante mène tout droit le lecteur à Sarajevo, le 27 mai 1995 à 8h45. « Je suis le lieutenant Héluin, je suis en tête de la première section des Forbans du 3e régiment d’infanterie de marine et je marche vers mon objectif à travers les ruelles qui bordent le cimetière juif en direction du pont de Verbanja. J’ai reçu ma mission il y a un peu plus d’une heure. Elle est très simple : reprendre le poste français près du pont ». Nous voilà embarqués dans une scène de guerre. Elle nous permet d’entrer dans le propos que l’auteur, le colonel Michel Goya, tient dans les chapitres qui suivent et qui dessinent une à une les étapes de la vie au feu.

Par touches successives, ils dressent un paysage complet du fonctionnement du corps et de l’esprit, du rapport avec les armes, avec le terrain, avec la mort, bien sûr, la sienne et celle des autres, mais aussi, ultimement, avec ceux qui décident des budgets alloués aux combattants, dans cette « bulle de violence » que constitue la phase de combat.

La richesse de ce traité repose sur la grande variété des expériences auxquelles Michel Goya fait appel, de celles des écrivains de la Grande Guerre aux témoignages écrits ou oraux de combattants de plusieurs nationalités, en Afghanistan et ailleurs, avec, à l’appui, quelques conclusions d’expériences scientifiques sur les comportements humains et animaux en situation de stress intense.

Sa propre expérience est aussi régulièrement appelée à la rescousse du propos. Seul un homme qui a lui-même connu le combat pouvait trouver en ces témoignages de quoi écrire un tel ouvrage. Parce que dans une page de Genevoix l’auteur lit et perçoit bien des choses que le lecteur non-initié ne voit ni ne comprend. La guerre est en effet un monde d’initiés ; elle est pratiquée par des initiés. Ils le sont doublement : d’abord parce que ceux qui combattent, dans les armées conventionnelles, appartiennent à un corps constitué, hiérarchisé, avec ses rites propres.

Le livre de Michel Goya est celui d’un initié qui accompagne son lecteur dans une découverte de la vie au feu

Ils le sont aussi et surtout parce qu’ils exercent leur métier avec « la mort comme hypothèse de travail ». Celui qui n’a pas connu la vie au feu ne peut pas la vivre par procuration. Tout juste peut-il tenter de comprendre et de saisir une part de cette réalité lorsqu’un initié accepte d’une manière ou d’une autre de rendre compte de cette expérience particulière, individuelle et collective. Il existe quelques grands films de fiction, quelques grands romans, capables d’aider les non-initiés à approcher de ce monde, bien qu’ils n’y pénétreront jamais complètement.

Pour exemple, le film de Pierre Schoendoerffer, La 317e section, et le roman éponyme, font partie de ces œuvres. Dans un autre genre, le livre de Michel Goya est celui d’un initié qui accompagne son lecteur dans une découverte de la vie au feu. Alors que depuis la fin de la guerre d’Algérie, la vie combattante a été largement évacuée de nos réalités quotidiennes, ce livre est précieux. Devrait le lire toute personne soucieuse de comprendre ce que vivent ceux qui se battent, en bien des points chauds du monde, au nom de leurs pays.

Mais l’urgence de cette lecture concerne surtout ceux qui, du fait de leur activité professionnelle, doivent parler des combattants et de la guerre sans avoir eux-mêmes cette expérience du feu. Nous sommes désormais une immense majorité à être dans ce cas ; cela explique en partie la difficulté médiatique à traiter des opérations extérieures françaises avec les mots adéquats.

Parmi les journalistes, ceux qui couvrent les zones de conflits connaissent aussi le risque de la mort (et ce livre leur apprendra d’ailleurs beaucoup sur leur propre expérience des terrains de guerre) mais leur métier ne les oblige pas de la même manière lorsque sifflent les balles.

Et à leurs côtés, surtout, s’expriment tous les autres, leurs confrères qui parlent depuis la France en paix, mais aussi les experts et les politiques qui occupent le paysage médiatique. Lorsqu’on est professionnellement amené à traiter de la guerre, le meilleur moyen de le faire est peut-être de commencer par s’intéresser réellement et honnêtement aux combattants, quoique l’on pense du choix qu’ils ont fait, quoique l’on pense, aussi, des missions qui leur sont confiées.

Sous le feu, la mort comme hypothèse de travail, Michel Goya, Tallandier, 266p., 20,90 euros

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