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Pourquoi les Brésiliens se mobilisent-ils autant pour Edward Snowden?

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JOL Press : La pétition brésilienne en faveur de l’accueil d’Edward Snowden a recueilli plus d’un million de signatures. Comment expliquez-vous cet engouement ?
 

Hervé Théry : Tous les Brésiliens, y compris la présidente Dilma Rousseff, ont été vraiment choqués de constater que la NSA écoutait le Brésil et notamment ses dirigeants, y compris la présidente. Cette dernière a d’ailleurs protesté officiellement face à Barack Obama et l’affaire a eu un certain retentissement dans le pays.

D’autre part, c’est le Parti des travailleurs qui est actuellement au pouvoir et il est assez représentatif de l’opinion dominante en ce moment. Ce parti a une certaine culture anti-américaine et faire un pied de nez aux Américains ne les dérange pas, bien au contraire. Ils sont ravis de pouvoir rendre hommage à celui par qui le scandale a éclaté.

Enfin, le mode de mobilisation par voie électronique est assez fort au Brésil puisqu’à l’exception des manifestations du mois de juin, les Brésiliens n’ont pas vraiment tendance à descendre dans la rue. En revanche, ils remplissent assez volontiers des pétitions ou autres formulaires sur les réseaux sociaux ou sur Internet en général. C’est une façon assez habituelle de protester chez les Brésiliens.

JOL Press : Quelle est la politique brésilienne en matière de respect de la vie privée ?
 

Hervé Théry : La législation n’est pas spécifique. Il n’y a en tout cas pas de Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) ou équivalent. Le Brésil est donc assez ouvert sur cette question.

L’indignation populaire vient d’abord du fait que le Brésil est un allié des Etats-Unis. Ils appartiennent au même camp et c’est pour cette raison que les Brésiliens ne comprennent pas vraiment pourquoi ils sont écoutés par les Américains.

Puisqu’il n’y a pas de tensions particulières dans le domaine stratégique, ce ne peut être qu’à des fins commerciales ou policières.

JOL Press : En dehors de l’affaire des écoutes téléphoniques, le Brésil n’a donc rien à reprocher aux Etats-Unis…
 

Hervé Théry : Non, et c’est pour cela qu’ils sont aussi indignés. Ils ne comprennent pas pourquoi ils sont espionnés alors même qu’ils sont censés être alliés et c’est d’ailleurs aussi ce qu’on dit les Allemands, Angela Merkel en tête, tout comme d’autres, qui ont appris qu’ils étaient espionnés par la NSA.

Mais si les Etats-Unis sont les alliés de tout le monde, ils défendent vigoureusement leurs intérêts nationaux, en particulier commerciaux et il y a eu quelques cas révélés de concurrence internationale dans lesquels les Etats-Unis ont fini par gagner grâce à ces écoutes.

JOL Press : Le Brésil et les Etats-Unis sont donc des Etats « amis ». Quel est aujourd’hui  l’état de leurs relations ?
 

Hervé Théry : Les Etats-Unis et le Brésil sont davantage des « alliés » que des « amis ». L’Amérique du Sud est généralement considérée comme l’arrière-cour des Etats-Unis.

Le Brésil ne fait pas exception et la culture s’est profondément américanisée. Les films sont américains, la musique est américaine, les modes de vie sont tout autant inspirés par les Etats-Unis, davantage sans doute que dans le reste du monde.

Les relations entre les deux pays sont bonnes. Elles le sont d’autant plus que le Brésil ne se mêle pas vraiment de politique étrangère. Les Brésiliens préfèrent rester dans leur coin et développer leur pays.

Ils ont par ailleurs une distance et un poids économique suffisants pour ne pas ressembler au Mexique, dont il est souvent dit, « si loin de Dieu, si près des Etats-Unis », pour qualifier leur état de « satellite » des Etats-Unis.

Le marché intérieur du Brésil représente 85% du PIB et les Brésiliens ne sont donc pas aussi soumis aux Américains et au commerce extérieur. D’ailleurs, en termes d’exportations, les Brésiliens sont davantage tournés vers l’Europe et la Chine que vers les Etats-Unis.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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