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Redressement économique: la France doit-elle s’inspirer du modèle suédois?

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JOL Press : En matière de baisse des dépenses publiques, que peut nous enseigner la Suède ?
 

Emilie Bourdu : Il faut savoir que la Suède a traversé au début des années 90 une très grave crise financière, qui s’est propagée à l’ensemble de son économie. À cette occasion, elle a repensé l’organisation de son modèle social, sans remettre en cause les fondements de l’État-providence. Elle a entamé fait une vague de libéralisation, notamment au niveau de certains services : télécommunications, poste, transports ferroviaires, électricité, maisons de retraite, écoles maternelles etc.

Elle a aussi mis en place un nouveau système de gestion de la dépense publique : on trouve en Suède des agences territoriales chargées de mettre en œuvre la politique décidée au niveau central. Ces agences ont une grande autonomie, elles gèrent leur budget – sachant que ce budget est constitué de recettes provenant d’impôts locaux – et ont une grande marge de manœuvre en matière financière et fonctionnelle. Il faut aussi savoir que le statut de fonctionnaire en Suède a été abandonné au début des années 90.

Il y a également eu une vague de décentralisation et de transfert de compétences au niveau local. C’est aussi comme cela que la Suède a fait des économies. Par exemple, ce sont les écoles, au niveau des communes, qui sont chargées du recrutement des professeurs, des locaux, et même de l’adaptation des programmes. Les comtés – l’équivalent de nos régions – gèrent pour leur part le secteur de la santé.

S’il y a eu une diminution des dépenses publiques, il convient de rappeller quelles sont aujourd’hui au niveau de ce que l’on a en France. Il y a donc encore de très fortes dépenses publiques en Suède. La différence, c’est que ce sont les ménages et les citoyens qui paient ces dépenses publiques, en acceptant d’être extrêmement prélevés, parce qu’ils ont confiance en l’État, en leurs élus et dans les services qui leur sont rendus.

JOL Press : Sur quels secteurs la Suède a-t-elle misé pour rebondir après la crise économique qu’elle a traversée au début des années 90 ?

Emilie Bourdu : Le secteur industriel est très important en Suède. L’industrie suédoise avait connu une perte de compétitivité dans les années 70-80, mais a bien su rebondir après la crise. C’est une industrie compétitive et ouverte sur l’extérieur.

Il faut savoir que la Suède est un petit pays – 9 millions d’habitants – ce qui représente un faible marché intérieur en termes de débouchés. Les entreprises suédoises et les Suédois en général ont donc pris l’habitude de se tourner vers l’étranger.

JOL Press : En matière de redressement de l’industrie justement, que peut retenir la France de l’expérience suédoise ?
 

Emilie Bourdu : Les syndicats d’employeurs et les organisations patronales ont vraiment trouvé un compromis pour réguler tout ce qui concerne l’évolution des salaires. En général, on négocie sur les salaires en premier lieu dans les branches qui relèvent des industries ou des entreprises qui sont soumises à la compétition internationale.

Cela sert de base aux négociations salariales qui ont lieu dans les autres secteurs. L’industrie suédoise, qui est au cœur de l’économie, est aussi une industrie qui innove. Sur le dialogue social, la France pourrait s’inspirer du modèle suédois, mais cela se fait sur le temps long : il y a, en Suède, une vraie confiance entre les acteurs du dialogue social depuis une dizaine d’années.

JOL Press : La taxation plus forte des revenus et de la consommation des ménages en Suède est-elle envisageable en France ?
 

Emilie Bourdu : Vu le contexte actuel, je ne pense pas. La charge fiscale semble déjà peser assez sur les Français. Au niveau de l’opinion publique, une hausse des impôts passerait mal en France. Pour accepter une hausse des impôts, il faut pouvoir faire confiance. Les Suédois sont – à peu près – satisfaits de leurs services publics, et ils ont confiance. La société française, actuellement, n’est pas du tout dans le même cas de figure. Cela ne veut pas dire, pour autant, que tout va bien en Suède : il y a eu récemment des violences urbaines, il y a des enjeux importants en termes de politique d’immigration, etc.

JOL Press : La manière dont la Suède conduit ses réformes est-elle particulièrement pertinente pour la France ?
 

Emilie Bourdu : Oui, ce ne sont pas tant les réformes que la méthode d’application de ces réformes qui pourrait servir de modèle. En Suède, dès qu’une question qui peut affecter l’économie ou la société se pose, les Suédois ont pour habitude de s’inscrire dans un travail préparatoire, de faire appel à des experts, de mettre en quelque sorte sur la place publique les projets de réforme et d’en débattre. Et d’accepter aussi parfois que le projet puisse, à la marge, être modifié. Cela prend donc un peu plus de temps, puisque c’est un long processus d’expertise et de négociation démocratique.

JOL Press : On qualifie souvent la Suède de « modèle idéal » en Europe. Est-ce encore pertinent aujourd’hui ?
 

Emilie Bourdu : Oui, sur la méthode, comme je l’ai dit précédemment, ainsi que sur la confiance qu’ils ont réussi à instaurer dans leur société. C’est quelque chose vers lequel il s’agirait de tendre en France également.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Emilie Bourdu est chargée d’études à La Fabrique de l’industrie, think tank présidé par Louis Gallois dont la vocation est d’encourager et d’alimenter le débat sur l’industrie. Docteure en économie de l’université de Poitiers, elle est l’auteure de Les transformations du modèle économique suédois, Presse des Mines, juillet 2013.

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