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Sotchi 2014: Vladimir Poutine s’offre des Jeux hors de prix

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JOL Press : D’après les estimations d’un rapport du Parlement russe, le coût de l’organisation de Jeux Olympiques de Sotchi avoisinerait les 36 milliards de dollars. A titre de comparaison, les JO d’hiver de Vancouver, en 2010, avaient coûté 1,5 milliard. Comment expliquer une dépense si exorbitante à Sotchi ?
 

Laurent Vinatier : Il y a plusieurs raisons. La première est très simple : Sotchi est avant tout une station balnéaire, et ne possédait que très peu d’infrastructures liées aux sports d’hiver dans les montagnes environnantes. N’oublions pas que Sotchi est un peu la Côte d’Azur russe ! On y trouve des palmiers, et, à seulement une cinquantaine de kilomètres au Sud, un climat subtropical ! Organiser des JO d’hiver dans une telle région est forcément compliqué et coûteux.

Par ailleurs la Russie, et avant elle l’Union soviétique, n’a pas démontré d’extraordinaires capacités touristiques, spécialement en termes de sports d’hiver. Les infrastructures nécessaires à l’accueil de ce type d’événements n’existaient pas. Il a fallu tout construire.

JOL Press : Dès lors, pourquoi avoir choisi Sotchi comme ville candidate ? La Russie n’a-t-elle aucun autre territoire montagneux plus propice – et mieux développé – pour des JO ?
 

Laurent Vinatier : Non. Même en allant plus dans les montagnes vers la Géorgie, la Russie possède très peu d’infrastructures. Tous les pays de l’ex-URSS sont d’ailleurs dans le même cas. Les sports d’hiver ne sont pas une habitude russe.

Pour revenir sur le pourquoi de tels coûts, la Russie est un pays « émergent », un BRICS, à savoir un pays qui a atteint un niveau de richesse proche de ceux des pays développés, à l’exception de ses infrastructures. Les routes, les voies ferrées, devaient être refaits.

JOL Press : D’aucuns évoquent également la corruption comme l’une des raisons de ce coût colossal. Est-elle unanimement reconnue ?
 

Laurent Vinatier : La corruption est un mode de gouvernement en Russie. Et elle est presque logique, compte tenu du territoire. C’était déjà un problème sous la Russie tsarine. Comment faire appliquer une décision prise à Moscou dans les provinces reculées d’un territoire démesuré, aux confins de la Chine ou de la Mongolie, soit à des milliers de kilomètres ? Il faut bien que ceux qui l’appliquent soient rémunérés en conséquence ! La corruption est donc tout simplement un mode de distribution du salaire.

Le problème avec Sotchi est qu’on a complètement dépassé les bornes ! Les JO sont avant tout un projet politique.

JOL Press : Peut-on dire que Vladimir Poutine fait un peu du succès de cet évènement une affaire personnelle, comme pour redorer son image ? Ne sont-ils pas destinés à être une vitrine de la Russie, alors qu’elle est chahutée, et tant décriée, dans ses relations internationales ?
 

Laurent Vinatier : C’est plus paradoxal. Ces JO peuvent en effet être considérés comme une vitrine, mais dans le même temps Sotchi est une véritable forteresse, très bien gardée et verrouillée. Il est très difficile d’obtenir des billets, les coûts sont faramineux…

L’ambition est plus de montrer que la Russie est une puissance civilisée, capable d’accueillir des Jeux Olympiques. Les grandes puissances mondiales ont eu, ces dernières années, leurs Jeux Olympiques. Sotchi participe ainsi de l’évolution souhaitée de la Russie, qui redevient « convenable » et moderne.

Plus important, Vladimir Poutine a une relation très personnelle au Caucase. Il s’est construit sa stature présidentielle sur ce territoire, lors de la guerre avec la Tchétchénie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Russie a choisi d’organiser la cérémonie d’ouverture sur la « Krasnaya Polyana » (la plaine rouge, en russe), théâtre de la victoire des troupes du Tsar sur les résistants turkmènes, il y a 150 ans exactement. Et c’était un massacre.

Ces JO sont un projet politique qui, outre l’affirmation de la puissance russe, vise aussi à montrer sa mainmise sur le Caucase.

Sotchi 2014 relève même plus du symbolisme politique que de l’événement sportif. D’autant plus que les JO d’hiver sont loin d’être la compétition sportive la plus suivie.

JOL Press : A Athènes, les JO d’été de 2004 ont tourné au fiasco économique pour la Grèce, avec un rapport investissements / retombées désastreux. Doit-on s’attendre à des lendemains identiques dans le cas de Sotchi ?
 

Laurent Vinatier : Le risque est réel. Les hommes d’affaires russes ne s’y sont pas trompés : ceux qui ont investi dans ces JO s’y sont vus forcés par Vladimir Poutine. Ils se demandent aujourd’hui ce qu’ils peuvent faire pour limiter leurs pertes.

Le Gouvernement russe réfléchit d’ailleurs à une exonération des taxes sur les investissements réalisés dans toute cette région de Krasnodar, pour faire passer cette pilule financière.

Néanmoins, on peut être optimiste, en ce que la région de Sotchi a un vrai potentiel touristique. Les investissements consentis (transports, logements, complexes sportifs…) peuvent y générer un tourisme de classes moyennes, un tourisme de sports d’hiver.

Propos recueillis par Romain de Lacoste

Laurent Vinatier travaille à l’Institut Thomas More. Spécialisé sur l’histoire et la politique russes, il a publié, en 2008, « La Russie, de Poutine à Medvedev » (Unicomm).

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