L’assassinat d’une ancienne Miss Venezuela la semaine dernière a replacé la question de la violence au cœur des débats dans ce pays qui affiche l’un des taux d’homicides les plus élevés d’Amérique du sud. Pour faire face à l’explosion de la criminalité, le président vénézuélien Nicolas Maduro – qui a fait de la lutte contre l’insécurité son cheval de bataille pendant sa campagne – a organisé une réunion d’urgence avec des maires et des gouverneurs afin de mettre au point un plan d’action contre ces violences et développer une loi de pacification nationale. Explications de David Weinberger, chercheur à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et auteur de « Le Venezuela : un épicentre du trafic régional et mondial de cocaïne » (OFDT, décembre 2013).
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JOL Press : Le meurtre d’une Miss Venezuela a rouvert le débat sur la criminalité dans le pays. La violence est-elle un phénomène endémique dans ce pays ?
David Weinberger : Comme tous pays d’Amérique latine, la violence est un phénomène ancien au Venezuela, beaucoup plus important qu’en France. Nous avons pu observer depuis au moins une dizaine d’années une augmentation importante de la violence, notamment des taux d’homicides. Cette augmentation s’accélère depuis 2005, et particulièrement depuis deux ans.
JOL Press : Le Venezuela affiche l’un des taux les plus élevés d’homicides en Amérique latine. Selon l’Observatoire vénézuélien de la violence (OVV), le nombre d’homicides s’élèvait à 21692 en 2012. Quelles sont les raisons de l’explosion de cette violence ?
David Weinberger : Les chiffres concernant les taux d’homicides au Venezuela sont sujets à discussion. L’Observatoire vénézuélien de la violence (OVV) répond avec ses propres chiffres qui ne sont pas tout à fait les mêmes que l’ONUDC (l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime) et encore moins les mêmes que ceux du gouvernement vénézuélien. Ce dernier semblerait faire passer une partie des homicides pour des suicides afin de camoufler l’explosion de la violence notamment vis-à-vis de la communauté internationale.
Des conditions externes et internes expliquent la hausse de la violence au Venezuela. Sur le plan interne, il y a eu une déliquescence du contrôle de l’Etat – dans une structure historique où il y avait peu de répartition des richesses – ainsi qu’une augmentation du clientélisme. Cela est dû aux réformes faites au début des années 2000 qui ont renforcé le pouvoir local. Désormais, certains, ont confisqué l’essentiel des pouvoirs (économique, militaire, sécuritaire). Ce clientélisme et l’impunité qui l’accompagne a favorisé le développement du narcotrafic, notamment dans les zones frontalières à la Colombie comme celle où se rendait la défunte Miss et son mari.
De manière extérieure, on peut également parler des acteurs du narcotrafic – historiquement localisés en Colombie – qui se sont en partie déplacés aux frontières du côté vénézuélien. Comme tous les autres pays touchés par le narcotrafic, le Venezuela a ainsi vu une augmentation générale de la violence issue de la drogue qui pourrait générer plus de 20% des homicides dans le pays selon l’OVV Il faut également rappeler que les crises pétrolières et monétaires aggravent les conditions de vie .
JOL Press : Dans une publication de l’OFDT, vous parlez d’une « colombianisation » du Venezuela. Comment expliquez-vous le fait qu’en une dizaine d’années, le Venezuela soit devenu un important centre d’exportation de la cocaïne ?
David Weinberger : Premièrement, l’action internationale en Colombie porte ses fruits. Les milliards de dollar investis par la communauté internationale et particulièrement par les Etats-Unis, et travail du gouvernement colombien dans la lutte anti-drogue a rendu plus compliqué la tâche pour les narcotrafiquants localement.
Il est par exemple devenu très difficile aujourd’hui d’exporter de la cocaïne directement de la Colombie qui est soumise à un contrôle international important. Il s’est donc développé un transfert des zones d’exportation dans certains pays limitrophes, dont le Venezuela qui a une frontière poreuse avec la Colombie – une frontière qui jouxte les zones de production de cocaïne, car elle cultivée dans des zones particulières des Andes. Associé à cette déliquescence du contrôle de l’Etat, cela a favorisé l’explosion du trafic de cocaïne au Venezuela.
Dernier point à souligner : le Venezuela est un hub maritime et aérien dédié au commerce, qui favorise le déploiement de la logistique pour l’export à l’international.
JOL Press : Qui sont les premières victimes de cette violence au Venezuela ?
David Weinberger : Les premières victimes sont issues de la classe moyenne et populaire puisque la violence qui touche les Vénézuéliens est indirectement liée au narcotrafic. Il s’agit d’une délinquance des jeunes qui ont accès aux armes, prêts à tuer pour avoir un peu d’argent ainsi que des règlements de compte. Beaucoup de personnes issues des classes aisées ont déjà quitté le Venezuela : plusieurs centaines de milliers de Vénézuéliens sont déjà partis, principalement pour la Colombie, pour Miami aux Etats-Unis ou encore en Espagne.
JOL Press : Ces crimes sont-ils punis au Venezuela ?
David Weinberger : Il y a une forme d’impunité effective qui puise ses sources dans une corruption historiquement élevé, de l’aveu même du Président Maduro dans la presse en septembre 2013. Si la pauvreté représente un facteur explicatif de la violence, les études des criminologues sur le Venezuela indiquent bien que cette dernière associée à un Etat affaiblit, expliquent que les niveaux de violence aient explosé depuis 2005. Car l’Etat vénézuélien ne semble plus en capacité de maitriser cette criminalité.
JOL Press : Face à la déficience de la justice, la population est-elle amenée à se défendre elle-même ?
David Weinberger : La notoriété d’une des victimes touche la population vénézuélienne qui, s’exprime de plus en plus fort pour dénoncer les niveaux records d’insécurité mais les habitants ne sont pas encore arrivés au point de se faire eux-mêmes justice. Néanmoins, l’assassinat de la Miss Venezuela pourrait favoriser l’explosion de ce genre de pratique qui pourraient prendre la forme de lynchage.