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«A Fukushima, seulement le silence et le croassement des corbeaux»

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Dès le 1er avril, quelque 300 habitants de Tamura, ville japonaise située à une vingtaine de kilomètres de la centrale de Fukushima Daiichi, pourront retourner dans leurs maisons et ce, de façon permanente. D’ici deux ans, jusqu’à 30 000 Japonais seront autorisés à retrouver les foyers qu’ils avaient abandonnés après l’accident nucléaire survenu il y a trois ans. 

Quels sont les risques pour la santé qu’implique un éventuel retour dans cette « zone interdite » ? A quoi ressemble la vie autour de la centrale ? Eclaircissements du journaliste Lionel de Coninck, qui vient de réaliser un reportage sur le sujet.

JOL Press : Le Japon va lever un ordre d’exclusion sur une zone proche de la centrale nucléaire, permettant ainsi aux réfugiés de retourner dans leurs foyers. Les anciens résidents que vous avez rencontrés sont-ils prêts à retourner dans cette zone interdite ? Est-ce encore risqué ?
 

Lionel de Coninck : Oui ils sont prêts, cela fait 3 ans qu’ils attendent désespérément dans d’immenses camps de préfabriqués. Le problème est de savoir si c’est dangereux pour eux de retourner vivre là-bas. Il y a encore énormément de « Hotsposts » dans toute la zone d’exclusion et bien au-delà.

Tout n’est pas encore parfaitement décontaminé et ne le sera jamais. Renvoyer les gens vivre là-bas ne pose pas de problème s’ils sont âgés. Mais si ce sont des enfants c’est une hérésie. Les enfants jouent dehors et ingèrent des particules radioactives qui plus tard, pourront augmenter drastiquement leurs chances d’avoir un cancer. La contamination interne est extrêmement dangereuse. Le gouvernement japonais, lui, certifie que non, que tout va bien et il est très pressé de voir les habitants rentrer chez eux. La vraie question c’est pourquoi un tel empressement ? Serait-ce parce qu’ainsi, le gouvernement n’aurait plus à verser d’allocation aux refugiés ?
 

JOL Press: A quoi ressemble la vie dans la zone qui entoure Fukushima ?  Y-a-t-il des personnes qui ont décidé de rester ?
 

Lionel de Coninck : C’est une zone dénuée de toute vie où le temps s’est arrêté. Seuls quelques chiens errants passent en courant. Le plus impressionnant c’est le silence et le croassement des corbeaux. Les herbes folles commencent à envahir les villages abandonnés. Mis à part les camions de déblaiement et les voitures de Tepco, rien ne vient troubler le silence… Sauf pendant le week end, lorsque quelques résidents en combinaison viennent chercher des affaires, ce que le gouvernement autorise.

JOL Press: Trois ans après la catastrophe nucléaire, quel est l’impact sanitaire  ?
 

Lionel de Coninck : Pour l’instant selon le gouvernement nippon, il n’y en a aucune, à part le « stress ». Pourtant les premiers résultats du Fukushima Health Survey – la grande enquête lancée par le gouvernement – semblent alarmants.

Sur 270 000 enfants de 0 à 18 ans examinés, il y a 33 cas de cancers de la thyroïde et 42 cas probables. Cachant que l’incidence mondiale pour la même population, se situe entre 30 et 40 cas pour 1 million (contre 33 sur 270 000 pour l’instant), les propos du gouvernement japonais disant qu’il n’y a pas d’explosion de cas de cancer laissent songeurs.

Pour le reportage, j’ai même face camera, le directeur du FHS qui dit que ce n’est pas les radiations, mais la peur des radiations qui va poser problème pour les Japonais.

JOL Press : Votre reportage s’interroge sur une éventuelle contamination planétaire : quelles sont les répercussions de l’accident nucléaire sur l’environnement ?
 

Lionel de Coninck : Pour l’instant les scientifiques, n’en savent rien. Plusieurs poissons légèrement contaminés ont été pêchés, dans le pacifique… mais comme plus de 300 tonnes d’eau contaminée s’écoulent tous les jours dans la centrale de Fukushima personne ne peut prédire l’avenir.

JOL Press : L’efficacité des contrôles a-t-elle été prouvée ?
 

Lionel de Coninck : Les contrôles, sont comme tous les contrôles… à mailles larges… on ne contrôle que 5% des produits qui viennent du Japon ou de la zone pacifique. On fait comme si tout allait bien. Pour le reportage, nous avons demandé à filmer ces contrôles : nous attendons toujours un rendez- vous pour tourner la séquence.

Bizarrement tout le monde affirme que les poissons sont peu contaminés, que l’eau du pacifique n’est pas contaminée et que l’océan est grand, officiellement le risque est minime.

Mais dans le même temps, personne ne contredit les scientifiques qui affirment qu’il n’y a pas de dose d’innocuité en matière de radioactivité.

JOL Press: Pensez-vous que le Japon a minimisé les conséquences de la catastrophe de Fukushima ?
 

Lionel de Coninck : Le japon a clairement tenté de minimiser aux yeux de sa population puis aux yeux du monde les conséquences de la catastrophe.

Les déclarations mensongères ont succédé aux propos incohérents et la première conséquence a été que les Japonais ont perdu confiance dans leur gouvernement et leurs instituions. C’est une révolution quasi philosophique au Japon, ou de tout temps, la nation japonaise avait l’impression que l’Etat et le peuple tiraient dans le même sens… Aujourd’hui, les citoyens ont été contraints de prendre leur destin entre leurs mains pour se battre contre des décisions iniques, ou tout simplement pour essayer de comprendre.

Encore aujourd’hui, dans les manuels scolaires distribués aux écoliers on leur recommande d’avoir une attitude positive envers les radiations et ce qu’il se passe dans la région, car c’est le meilleur moyen d’éviter les effets indésirables. Les parents de ces enfants là ne supportent plus d’entendre ce discours.

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