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Affaire Vincent Lambert: l’avocate de son épouse nous explique son combat

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« Les réunions collégiales ont été des mascarades, jamais on ne nous a entendus et les médecins ont une nouvelle fois programmé la mort de mon fils », avait réagi Viviane Lambert, la mère de Vincent. (Crédits : shutterstock.com)

Le 16 janvier, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait imposé aux médecins de l’hôpital de Reims de poursuivre l’alimentation et l’hydratation artificielles de Vincent Lambert, un tétraplégique en état de conscience minimale depuis cinq ans après un accident de la circulation, en jugeant que « la poursuite du traitement n’était ni inutile, ni disproportionnée et n’avait pas pour objectif le seul maintien artificiel de la vie ».

« Les juges se sont substitué aux médecins dans l’attente d’un jugement sur le fond, sachant bien qu’il y aurait une décision du Conseil d’Etat », avait alors commenté dans le Monde Jean Leonetti, auteur de la loi sur la fin de vie. Quelles sont désormais les espérances de Rachel Lambert ? Eléments de réponse avec son avocate Me Sara Nourdin. Entretien.

JOL Press : Qu’attendez-vous du Conseil d’État ?
 

Me Sara Nourdin : Nous espérons que l’esprit et la lettre de la loi Leonetti soient considérés par le juge dans toute leur portée et qu’il ne vienne pas ajouter des conditions à la loi en considérant, comme cela a été le cas en première instance, qu’il y aurait dû y avoir certaines conditions précises pour que Vincent exprime ses volontés, alors que ce n’est absolument pas requis par la loi elle-même. Nous souhaitons également que le juge réitère certaines affirmations : qu’il confirme, par exemple, que la nutrition et l’alimentation artificielles sont bien constitutives de traitement et que Vincent Lambert peut être regardé comme faisant l’objet de traitements constitutifs d’une obstination déraisonnable, puisque le juge a écarté cette analyse en première instance.

En réalité, nous considérons, convaincus par les arguments de l’équipe médicale dans sa grande majorité – un collège de six médecins sur sept – que les traitements prodigués à Vincent, en plus d’être inconfortables, n’ont pas d’autres effets que de le maintenir artificiellement en vie. Nous considérons que lorsque le juge de première instance dit que les traitements ont également pour effet le maintien d’une possible vie relationnelle, il vide la loi Leonetti de tout son contenu et de tout son sens puisqu’il est bien évident que, dans la loi Leonetti, quelqu’un qui aurait encore une vie relationnelle mais qui serait en fin de vie, peut être considéré comme ayant des traitements qui maintiennent artificiellement en vie.

Nous espérons, enfin, que le Conseil d’Etat, au vu des éléments du dossier, considèrera que la vie relationnelle qui est alléguée à Vincent Lambert est réduite à néant. Ce n’est pas parce qu’il y a cette possible vie relationnelle rudimentaire que la loi Leonetti ne peut pas trouver à s’appliquer. Cela pose la question de quelle acception on donne au mot même de « vie ».

JOL Press : L’avocat des parents de Vincent Lambert, Me Triomphe, déclarait le 16 janvier dernier : « Vincent n’est ni malade, ni en fin de vie. Il est handicapé. » Raison pour laquelle la loi Leonetti ne pouvait pas s’appliquer, dans son cas. Qu’en pensez-vous ?
 

Me Sara Nourdin : Cette analyse est absolument hors de propos. La loi Leonetti couvre quatre situations distinctes. Elle permet l’arrêt de traitement : lorsque le patient est conscient et en fin de vie, lorsque le patient est en fin de vie et inconscient, mais également quand le patient n’est pas en fin de vie et conscient et lorsque le patient n’est pas en fin de vie et inconscient, ce qui est le cas de Vincent Lambert. Jean Leonetti ainsi qu’un certain nombre de personnes qui ont participé, de près ou de loin, à ce texte de loi, mais aussi le tribunal en première instance, ont considéré que la loi Leonetti pouvait s’appliquer dans le cas de Vincent Lambert.

JOL Press : Si le Conseil d’Etat vous donne raison, ne se dirigera-t-on pas, à terme, vers l’euthanasie de toute personne en état de coma irréversible ?
 

Me Sara Nourdin : C’est, en effet, ce qui est plaidé de l’autre côté de la barre, avec des parallèles tout à fait nauséabonds sur ce qui a pu se passer sous le IIIe Reich… On n’est absolument pas dans ce registre-là. Il s’agit là d’une situation précise, avec un patient précis qui est considéré par l’équipe médicale. Dans le service de soins palliatifs du docteur Eric Kariger, où est hospitalisé Vincent Lambert, plusieurs patients ne sont pas en fin de vie et inconscients mais Vincent est le seul patient pour lequel, pour la première fois, l’équipe médicale a considéré qu’elle était dans l’obstination déraisonnable.

JOL Press : L’affaire Lambert ne vient-elle pas du fait qu’on ne parvient pas à définir précisément ce que recouvre le terme de « conscience minimale » ?
 

Me Sara Nourdin : Est-ce que le juge fait la même lecture de l’expression « conscience minimale » que le collège médical ? On peut en douter. Dans le langage courant, « conscience minimale » évoque une certaine vie relationnelle qui est lue bien différemment par un collège médical. Dans le cas de Vincent Lambert, les médecins expliquent bien qu’on a des moyens de pensée qui pourraient intégrer certains stimuli extérieurs, mais en aucun cas il ne peut communiquer. Par ailleurs, les médecins disent que Vincent est consolidé, c’est-à-dire qu’aucune amélioration de son état n’est envisageable.

JOL Press : Selon vous,  Vincent Lambert est-il victime d’acharnement thérapeutique ?
 

Me Sara Nourdin : C’est surtout l’avis des médecins. Nous avons adhéré à cet avis médical dans la mesure où il a été prouvé à notre cliente que son époux était au bout de ce que la médecine pouvait lui proposer et que ses traitements relevaient d’une obstination déraisonnable – nouveau terme pour qualifier l’acharnement thérapeutique.

JOL Press : Si le Conseil d’Etat ne vous donne pas raison, quel sera votre recours ?
 

Me Sara Nourdin : Il est encore trop tôt pour vous répondre. Cette situation est très éprouvante pour notre cliente. Sa demande d’appel devant le Conseil d’Etat contre la décision de la justice administrative était déjà une décision difficile parce qu’elle aurait aimé que tout cela ne soit pas judiciarisé. On avance à petits pas et chaque jour suffit sa peine.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

L’avocat des parents de Vincent Lambert, Me Triomphe, a été aussi contacté par rédaction mais il a refusé de répondre à nos questions.

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