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Afghanistan: la question pachtoune, véritable enjeu du scrutin présidentiel

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En vertu de la Constitution, Hamid Karzaï devra céder sa place à la présidence le 5 avril prochain. (Crédit : Shutterstock)

La campagne électorale afghane est officiellement lancée. Depuis dimanche 1er février, les candidats, dont certains noms sont connus depuis quelques mois, peuvent officiellement se battre dans la course à la présidentielle pour la succession d’Hamid Karzaï, président depuis deux mandats successifs et qui, selon les termes de la constitution, ne peut se présenter une troisième fois.

Menace terroriste sur le scrutin

Dès ce premier jour, le constat a vite été établi, cette campagne sera dangereuse. En effet, alors que les candidats s’apprêtaient à se présenter au public à l’occasion de leurs premiers meetings, deux membres de l’équipe d’Abdullah Abdullah, un des favoris du scrutin, ont été tués lors d’une attaque qui n’a pas été revendiquée.

Derrière ce meurtre, les insurgés islamistes sont bien entendu désignés coupables et cet événement laisse présager d’une lourde menace sur la sécurité de tous les candidats et de leurs équipes.

« Il est impossible que les candidats puissent mener campagne normalement », a ainsi estimé un spécialiste de l’Université de Kaboul interrogé par RFI. Selon lui, et contrairement à la dernière élection de 2009 qui avait pourtant été marquée par des fraudes et de la violence, les candidats seront sans arrêt menacés par des actes terroristes. En témoignent les nombreux appels des taliban, en Afghanistan comme au Pakistan, pour que tout soit fait afin de perturber le déroulement de l’élection.

Premiers meetings à Kaboul

En ces premiers jours de campagne, les candidats ont tout de même voulu montrer leur détermination à ne pas céder face au terrorisme et ils ont été nombreux à tenir leurs premiers meetings.

Parmi les onze candidats en lice, Ashraf Ghani, ancien ministre des Finances et un des favoris du scrutin, a notamment réuni plusieurs milliers de personnes à Kaboul. A quelques centaines de mètres, un autre candidat, Abdullah Abdullah, également favori, faisait salle comble pour son premier meeting de campagne.

Pour ces deux réunions, un service de sécurité exceptionnel avait été mis en place. Forces de l’ordre, contrôles stricts à chaque entrée, portiques électroniques, les candidats ne veulent rien laisser au hasard pour cette campagne à hauts risques.

Profils variés et grands favoris

S’ils sont onze en lice, certaines personnalités se démarquent particulièrement et dans ce scrutin, plusieurs favoris devront batailler pour accéder à la magistrature suprême.

Parmi eux, Abdullah Abdullah. Ancien ministre des Affaires étrangères, Abdullah Abdullah connaît bien les scrutins présidentiels puisqu’en 2009 il avait perdu, de quelques points, face à l’actuel président Hamid Karzai. Porte-parole du commandant Massoud pour les Affaires étrangères, son avantage réside dans ses origines.

« Tadjik par son père et Pachtoune par sa mère, il est accompagné d’un candidat vice-président Azara chiite », explique ainsi Georges Lefeuvre, spécialiste de l’Afghanistan, pour qui ce mélange tribal ne peut être qu’un atout en faveur de cette candidature.

Economiste de grande renommée, Ashraf Ghani est également favori. Pourtant, sa dernière expérience en tant que candidat ne lui avait pas porté chance et en 2009 il n’avait remporté que 2,94 % des voix. Lorsqu’il a officiellement déposé sa candidature, Ashraf Ghani a promis qu’il ferait de la corruption son combat, et de la « jeunesse » sa priorité. Un discours porteur en Afghanistan, cependant, d’étranges choix pourraient nuire à ses ambitions.

« Ashraf Ghani, ancien universitaire, ancien expert de la Banque mondiale aurait pu être une bonne figure s’il n’avait eu l’idée invraisemblable de choisir un candidat vice-président trop connu pour sa cruauté sanguinaire , l’ancien chef de guerre Abdul Rasheed Dostum », explique ainsi Georges Lefeuvre.

Frère aîné de l’actuel président, Qayum Karzaï se présente et espère bien que la magistrature suprême afghane restera dans la famille. En présentant sa candidature, ce dernier n’avait pas manqué de saluer le travail de son frère au pouvoir. Il n’a pourtant jamais reçu le parrainage officiel du président.

Zalmai Rassoul a été ministre des Affaires étrangères d’Afghanistan. Nommé en janvier 2010, il a quitté son poste pour briguer la présidence.

« Très occidental et libéral, Zalmai Rassoul est un candidat apprécié de la communauté internationale », explique Georges Lefeuvre. « Parmi ses vice-présidents potentiels, on trouve une femme, Habiba Sarabi. Il obtiendra certainement beaucoup de voix à Kaboul mais il est trop peu connu dans les campagnes », note-t-il néanmoins.

Il s’agit sans doute de la candidature la plus controversée de ce scrutin présidentiel. Abdul Rasul Sayyaf est un Pachtoune. Ancien chef de guerre, il est notamment connu pour avoir été le mentor de Khaled Cheikh Mohammed, cerveau présumé des attentats du 11 septembre. D’abord membre de l’Alliance du Nord du commandant Massoud, il a rapidement été séduit par Al-Qaïda et Oussama Ben Laden. Adul Rasul Sayyaf est également accusé par les Nations Unies d’avoir été le responsable du massacre de plusieurs centaines de Hazaras, une ethnie chiite, à Kaboul, en 1993.

La question tribale : élément clé du scrutin

De nombreux candidats et des programmes qui, s’ils diffèrent, ne sont pas tellement déterminants pour l’avenir de l’Afghanistan. En effet, explique Georges Lefeuvre, le véritable enjeu du scrutin résidera dans la question tribale. D’où l’importance du choix qu’on fait de nombreux candidats de se présenter aux côtés de personnalités d’ethnies différentes.

« La guerre en Afghanistan ne cessera jamais tant que la question pachtoune, au Pakistan comme en Afghanistan, ne sera pas réglée », explique ainsi Georges Lefeuvre. « Les zones pachtounes insurrectionnelles resteront le terreau fertile pour une autre forme d’insurrection qui est le terrorisme de type Al-Qaïda ».

« Il faut donc absolument que le futur président soit à l’écoute des Pachtounes de la zone sans être déconsidéré par les gens du nord, Tadjiks, Ouzbeks et Hazaras. C’est vraiment l’enjeu primordial de ces élections », explique encore cet expert. « Le futur président devra avoir la confiance du Nord non-pachtoune et gagner celle du Sud et de l’Est pachtoune pour assurer la sécurité du pays, préalable indispensable à tout espoir de réconciliation nationale, par réduction significative des terrains insurrectionnels et terroristes de la ceinture pachtoune ».

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