Site icon La Revue Internationale

Après le vote de la constitution: la jeunesse tunisienne y croit

[image:1,l]

JOL Press : Que pensez-vous de la nouvelle Constitution, officiellement adoptée par l’Assemblée tunisienne ?
 

Amir Ben Ameur : En juin dernier, lorsque le projet final a été présenté, j’ai été vraiment inquiet car cette constitution servait alors directement les intérêts de certains groupes et notamment les islamistes et la Troïka au pouvoir. Elle ne représentait donc pas la totalité des Tunisiens.

Après les deux assassinats d’opposants politiques, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, que nous avons vécus au cours de ces deux dernières années, la société civile et les politiques ont compris que la seule façon de sortir de la crise était de revenir à la table des négociations et de trouver un compromis pour que la Constitution soit la plus représentative possible tout en gardant les valeurs de la révolution du 14 janvier.

La nouvelle constitution adoptée est issue de ce dialogue national et en cela, elle ne peut que satisfaire la population. J’émettrais simplement quelques réserves concernant le rôle de la jeunesse. En effet, c’est la jeunesse qui a mené la Révolution de Jasmin et il n’y a aucune reconnaissance envers les jeunes dans ce texte, notamment ceux qui ont donné leur vie pour le bien du pays.

Cependant, une constitution est établie de manière à favoriser le développement du pays et le respect de la démocratie et en cela, ce texte nous donne les moyens de transmettre ces valeurs aux générations futures.

JOL Press : La Tunisie est souvent considérée comme le « bon élève » du Printemps arabe. Qu’en pensez-vous ?
 

Amir Ben Ameur : La Révolution de jasmin a été l’étincelle qui a lancé les révolutions du Printemps arabe. Je pense qu’on peut alors qualifier la Tunisie de « bon professeur » car elle est un exemple à suivre pour tous les pays du monde et en particulier les pays du Printemps arabe dont certains sont retombés dans une forme de chaos qui a fait renaître des dictatures de style nouveau.

La Tunisie met en lumière le véritable sens d’une révolution pacifique et civilisée qui permet l’instauration d’une démocratie durable.

JOL Press : Pensez-vous que la révolution tunisienne soit désormais terminée ?
 

Amir Ben Ameur : Pas vraiment. Il nous reste beaucoup de missions à accomplir car une révolution est un processus long et nous n’avons franchi que les premières étapes, notamment par le vote d’une constitution qui garantisse l’égalité des Tunisiens et établisse le cadre des droits de l’homme et du dialogue interculturel.

Le chemin est encore long et nous poursuivrons cette révolution afin d’assurer la solidité et la durabilité de notre démocratie. Une révolution ne se fait pas uniquement sur le terrain mais aussi dans les esprits.

JOL Press : Quels sont les défis auxquels doit faire face la Tunisie désormais ?
 

Amir Ben Ameur : Le défi économique est sans doute le plus important auquel nous sommes aujourd’hui confrontés. Nous traversons une grave crise. La baisse du pouvoir d’achat provoque la colère des classes moyennes et crée un énorme fossé entre les Tunisiens. La frustration et la révolte peuvent naître de nouveau et nous devons prendre conscience que la démocratie s’installe également dans un contexte de stabilité économique.

Cependant, nous pouvons aujourd’hui être optimistes, du fait de cette nouvelle constitution et de l’installation au pouvoir d’un gouvernement de technocrates indépendants. Je pense aussi que notre croissance reviendra lorsque la communauté internationale nous aidera, et elle le fera lorsqu’elle aura repris confiance dans nos politiques.

Le terrorisme est également un défi postrévolutionnaire. La Tunisie est devenue le terrain de jeu d’extrémistes qui veulent ruiner les acquis de la révolution. Cependant, je pense que ce problème n’a pas été pris à la légère et que nous pouvons, encore une fois, être optimistes.

JOL Press : Craignez-vous que les prochaines élections ne déstabilisent de nouveau la stabilité politique acquise ? Notamment si les islamistes revenaient au pouvoir.
 

Amir Ben Ameur : Si j’ai effectivement eu peur de voir les islamistes revenir au pouvoir il y a quelques mois, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je crois vraiment que les politiciens tunisiens ont compris qu’il était nécessaire de travailler main dans la main et de dépasser toute forme d’idéologie. Ils ont compris que l’appel du devoir exigeait tolérance et compréhension.

D’autre part, je suis convaincu que les islamistes ont perdu, dans une certaine mesure, le soutien des Tunisiens. Lors des dernières élections, ils ont obtenu 42% des sièges à l’Assemblée constituante. Ce ne sera pas le cas la prochaine fois car la plupart des personnes qui leur avaient fait confiance ont regretté, en raison des catastrophes dont nous avons été témoins sous leur gouvernance : deux assassinats politiques, la hausse du terrorisme et la crise économique.

Toutefois, si les islamistes revenaient au pouvoir lors d’élections transparentes et équitables, ils respecteraient les principes de notre démocratie car ils ont compris que personne ne peut contester la volonté tunisienne et personne ne peut ignorer la pression du peuple.

La société civile tunisienne, et je parle ici en tant que militant, a ouvert les yeux et sait désormais qu’elle peut faire pression sur les gouvernants pour que jamais ils n’oublient qu’avoir été élu légitimement ne signifie pas bénéficier d’une liberté totale au pouvoir. Lorsque des promesses sont faites, elles doivent être tenues.

JOL Press : Vous êtes donc désormais confiants sur l’avenir de votre pays…
 

Amir Ben Ameur : Dans une grande mesure, je suis en effet confiant, en particulier depuis l’adoption de cette constitution et l’initiative prise d’organiser des élections libres et transparentes.

La capacité de dialogue de nos personnalités politiques ne peut que transmettre un message de confiance en l’avenir. Nous avons désormais des communautés politique et civile mûres et qui travaillent côte à côte pour créer un cadre national solide et durable.

Je crois aussi que la jeunesse a un grand rôle à jouer et que nous défendrons activement ces acquis pour le développement des droits humains et la promotion d’une image positive de la Tunisie.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

Quitter la version mobile