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«Aux États-Unis, François Hollande veut rassurer les investisseurs»

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JOL Press : Cela fait 18 ans qu’un président français n’a pas été reçu en visite d’État à la Maison Blanche. Pourquoi ces visites ne sont-elles pas plus fréquentes ?
 

Thomas Snégaroff : Les États-Unis ont souvent privilégié les relations avec Londres ou avec d’autres Etats membres de l’Union européenne. Barack Obama, en particulier, n’aime pas tellement ce genre de visites d’État, qui demandent du temps – et de l’argent. Les présidents ont néanmoins continué à se voir énormément, notamment pendant la crise économique, lors de grandes rencontres ou sommets comme le G20. Les chefs d’État ne sont pas obligés d’organiser ces visites d’État qui sont assez symboliques : ce n’est pas forcément là que se joue la diplomatie.

JOL Press : Quel est l’enjeu de cette visite ?
 

Thomas Snégaroff : L’enjeu se situe à plusieurs niveaux. D’un point de vue économique, cette visite est importante pour François Hollande, qui visitera notamment la Silicon Valley et rencontrera des chefs d’entreprise américains. Aujourd’hui, les investissements américains à l’étranger sont, en France, les plus importants et ceux qui créent le plus d’emplois : ils représentent 23% des investissements étrangers créateurs d’emplois recensés dans l’Hexagone, devant les investissements allemands.

C’est donc important, pour la France, de rassurer les potentiels investisseurs américains, qui considèrent aujourd’hui que l’environnement économique français est instable, très bureaucratique, marqué par des taxations très élevées, etc. Il y a donc beaucoup de liens à retisser avec les États-Unis pour permettre la relance économique française. Le tournant libéral récemment opéré par François Hollande sert aussi à montrer qu’il n’est pas du tout hostile à l’entrepreneuriat et à la prise de risques, au contraire. C’est aussi cela la vocation de ce voyage : donner une autre image de la France, non seulement aux Américains mais également aux Français. François Hollande va en effet beaucoup s’adresser aux Français lors de cette visite.

La visite du président français s’inscrit finalement un peu dans la même logique que celle de François Mitterrand aux États-Unis en 1983, juste après le « tournant de la rigueur » opéré par le président socialiste. Lui aussi s’était rendu dans la Silicon Valley, où il avait notamment rencontré Steve Jobs. C’est assez symbolique que, 31 ans après, le président socialiste, qui vient de faire un « virage libéral », se rende également en Californie pour rencontrer des entrepreneurs américains.

Le but de ce voyage est avant tout de rassurer les États-Unis sur l’environnement économique de la France et sur sa stratégie pour attirer les investissements étrangers sur le territoire français. François Hollande souhaite également que les Américains considèrent la France comme un allié stratégique de poids dans la sécurisation du Sahel, enjeu énorme pour les deux pays. François Hollande mettra donc en avant l’expérience française stratégique et de défense. C’est là-dessus qu’il insistera le plus, avec en toile de fond les grands enjeux transatlantiques entre les Européens et les États-Unis.

JOL Press : Les deux présidents viennent de signer une tribune commune dans Le Monde et le Washington Post, vantant le « modèle » de leur relation. Quels sujets « brûlants » devraient cependant être évoqués par François Hollande et Barack Obama ?
 

Thomas Snégaroff : Il y a deux vrais sujets « brûlants » et un troisième qui l’est un peu moins, celui du scandale des écoutes de la NSA. François Hollande en a parlé il y a quelques jours dans une interview accordée au Time. Il a notamment déclaré que « tout était nécessaire pour travailler contre le terrorisme… Mais à condition évidemment que les règles démocratiques ne soient pas bafouées ». Même si l’opinion publique attend qu’ils en parlent, ce n’est pas forcément un sujet qui sera évoqué, il y a d’autres thèmes plus urgents.

C’est notamment le cas du Sahel, après l’intervention française au Mali et en Centrafrique. L’enjeu pour la France va être de demander un soutien économique et logistique aux États-Unis, ce qui s’inscrit parfaitement dans la nouvelle doctrine régionale de défense définie par Barack Obama en janvier : celle d’un leadership américain « mené de l’arrière » (« leading from behind »). Car les Américains n’ont pas beaucoup contribué à ces opérations alors qu’ils en sont aussi les bénéficiaires. La France devrait donc insister sur l’importance de renforcer les liens et la coopération en termes de stratégie militaire dans la zone.

Le deuxième grand thème sera économique : il s’agit du traité de libre-échange avec l’UE, qui tient extrêmement à cœur à Barack Obama. Le président a besoin d’Européens décidés à négocier, et en particulier de la France, qui est encore assez réticente notamment sur des questions d’agriculture et de culture. Ce sera un des dossiers épineux, même si les négociateurs ont encore jusqu’à 2015 pour conclure cet accord.

JOL Press : Après le départ de Nicolas Sarkozy et depuis l’arrivée de François Hollande à l’Élysée, comment se portent aujourd’hui les relations entre la France et les États-Unis ?
 

Thomas Snégaroff : Il y a eu, au moment de la prise de pouvoir de François Hollande, une inquiétude qui rappelle un peu celle de 1981 avec l’arrivée de François Mitterrand, ou celle de 1995 avec l’arrivée du gaulliste Jacques Chirac. Mais cette inquiétude a très vite été balayée : la France a vite été perçue comme l’alliée fidèle des Etats-Unis.

Beaucoup d’Américains se rendent compte qu’il y a beaucoup d’avantages à travailler avec François Hollande. Bien qu’américanophile, Nicolas Sarkozy avait été très dur avec les États-Unis accusés d’être responsables de la crise économique en 2008. Il y a une série de dossiers sur lesquels on peut travailler ensemble (comme la Syrie et lIran) et les Américains voient d’un bon œil cette nouvelle alliance avec la France. C’est important dans un monde multipolaire de pouvoir s’appuyer sur des grandes puissances comme la France. Finalement, en France, les présidents passent mais fondamentalement, sauf crise majeure, les bonnes relations demeurent.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Thomas Snégaroff est directeur de recherche associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Spécialiste des États-Unis, agrégé d’histoire et titulaire d’un DEA d’histoire contemporaine, il enseigne à Sciences Po Paris et en classes préparatoires aux grandes écoles de commerce. Il est notamment l’auteur de L’unité réinventée – Les présidents américains face à la nation (2009), Faut-il souhaiter le déclin de l’Amérique ? (2009), L’Amérique dans la peau : quand le président fait corps avec la nation (2012), Les Etats-Unis pour les nuls (2012) et Kennedy : une vie en clair-obscur (2013).

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