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Aveuglement, mensonges: les dessous de l’intervention en Centrafrique

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JOL Press : Après deux mois d’opération, la situation demeure assez floue à Bangui. Comment expliquer ce manque de visibilité qui accompagne l’intervention française en Centrafrique depuis ses débuts ? A titre de comparaison, les objectifs de l’opération Serval au Mali étaient bien plus clairs…
 

Roland Marchal : Au Mali, la France protégeait des intérêts sécuritaires explicites. De plus, la situation sur le terrain était extrêmement polarisée : les groupes comme AQMI ou Ansar Dine, malgré quelques soutiens locaux, demeuraient très impopulaires. Enfin, il existait tout de même un appareil d’État, relativement fonctionnel. La situation géopolitique était plus simple, la population était très majoritairement favorable à l’intervention.

L’armée française y a donc mené une opération militaire efficace, quoique peu conclusive (ces groupes sont en train de se réorganiser dans le Sud-Ouest du Mali).

Les Français ont cherché à reproduire ce concept d’opération dans le cas de la Centrafrique, et de ce fait ont sous-estimé la complexité du rôle de la Seleka, à deux niveaux :

En premier lieu, la Seleka n’entretenait pas avec la population les mêmes liens qu’AQMI au Mali, par exemple. Bien que les chrétiens la voient comme un groupe de terroristes et de bandits – ce qui est vrai – elle ne doit pas affronter un rejet populaire de masse.

Qui plus est, à cause des massacres des « anti-balakas » notamment sur les éleveurs peuls, la Seleka était apparue comme le seul protecteur de la communauté musulmane. Bénéficiant rapidement d’une polarisation de forces et de soutiens, elle a ainsi pu jouer son propre rôle, ce qu’avait négligé la France.

JOL Press : Cette mésestimation montre quand même un manque de préparation stratégique…
 

Roland Marchal : Il y a eu un aveuglement politique. Ils avaient une vision très simple de ce qu’est vraiment la Seleka. Une vision simpliste, même. Sa fonction de bras armé de la communauté musulmane n’est apparue qu’en décembre dernier.

En outre, soit par aveuglement, soit par volonté de les utiliser provisoirement, les Français n’ont pas vraiment réfléchi au rôle des anti-balakas.

JOL Press : L’opération Sangaris a souvent été présentée comme « humanitaire » alors que, finalement, le volet militaire est bien plus important…
 

Roland Marchal : Le fantasme humanitaire représente un peu la médiocrité d’un Président de la République. Si on intervient en Afrique pour sauver des vies, pourquoi n’intervenons-nous pas en République démocratique du Congo ?

La déclaration de François Hollande sur la nécessité « d’éviter une catastrophe humanitaire » était un leurre. Elle masquait juste le fait que les Français intervenaient pour réparer leur tolérance, pendant trop longtemps, envers des actes inacceptables en Centrafrique. Ils ont toléré le fait que la MICOPAX (Mission de consolidation de la paix en Centrafrique) n’était pas utile, voire dysfonctionnait.

Par exemple, la protection des civils à Bangui, l’une des missions de la MICOPAX, n’a jamais été assurée dans la capitale centrafricaine, jusqu’à l’intervention française. Pourquoi les militaires français chargés de former la MICOPAX n’ont-ils pas réagi ? De plus, qu’ont-ils fait face aux exactions et à l’ampleur des violations des droits de l’homme, qu’ils constataient ?

L’intervention actuelle en Centrafrique est avant tout liée à cela. A la faute politique que constitue le silence français sur le dysfonctionnement de la MICOPAX et les atteintes massives aux droits de l’homme. Le volet humanitaire brandi pour justifier l’opération n’est que la manifestation d’un scrupule, celui d’avoir été inactif auparavant.

Quant au volet militaire, on peut l’évoquer sous deux aspects. Tout d’abord, les soldats français pensaient qu’ils allaient se retrouver comme en 1996. A l’époque, plusieurs rébellions ravageaient Bangui ; et dès que l’armée française sortait, la population se mettait au garde-à-vous. Leur aura représentait presque 50 % de leur action. Sauf que la Seleka et les anti-balakas ne les respectent pas autant. La confrontation est donc ici plus âpre.

Le second aspect est que la résolution 2127 actant l’intervention en Centrafrique, prise le 5 décembre, a pris de cours l’organisation militaire française, par un délai d’intervention trop bref. Les soldats français ont ainsi manqué l’étape – symbolique et importante psychologiquement – du déploiement de forces. Et cette sorte de « mise en scène militaire » participe à la victoire dans l’opinion publique.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

Roland Marchal est chargé de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri – Sciences Po) et spécialiste des conflits en Afrique Sub-saharienne.

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