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«Cette votation suisse compliquera l’obtention du statut de frontalier»

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« En permettant aux entreprises suisses de recruter plus facilement de la main-d’œuvre dans les Etats de l’Union européenne et de l’Association européenne de libre-échange, l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) a largement contribué à la croissance de l’économie et de l’emploi ces onze dernières années », expliquait le secrétariat d’Etat à l’Economie (Seco) à Berne, dans une étude publiée en juin 2013.

Sans l’afflux de travailleurs immigrés, la forte croissance que la Suisse a connue durant la deuxième moitié du siècle dernier n’aurait pu, en effet, avoir lieu. Toujours supérieure à 20% depuis les années 1960, leur proportion atteint, en 2011, 28%. Les étrangers jouent un rôle particulièrement important dans le secondaire, où ils représentent 37% des actifs occupés (2011), contre 26% dans le tertiaire. Le « oui » en faveur de la restauration des quotas d’immigration pour les étrangers va-t-il bousculer cet équilibre ? Rien n’est moins sûr, selon Valérie Pagnot, juriste au sein de l’Amicale des frontaliers.

JOL Press : Quel est aujourd’hui le statut juridique d’un Français qui travaille en Suisse ?

Valérie Pagnot : Le statut du travailleur frontalier est encadré, en partie, par les accords bilatéraux sur la libre-circulation qu’a signés la Suisse. Depuis 2002, il n’y a plus de contrainte pour obtenir un permis de travail, c’est juste une formalité administrative qui ne peut pas être refusé à partir du moment où vous appartenez à un pays membre. Le référendum suisse, en mettant en place la préférence nationale et les quotas, va réduire le nombre de permis de travail. Par ailleurs, quand un employeur souhaitera embaucher un étranger, il devra justifier pourquoi il n’a pas pu embaucher un autochtone. Ce référendum va rendre beaucoup plus compliquée l’obtention du statut de frontalier à l’avenir, c’est une évidence.

Aujourd’hui la France a une pénurie d’emploi et la Suisse manque de salariés. Ils ont besoin de compétences, nous avons ces compétences. Les attaques de l’UDC vis-à-vis des frontaliers qui profiteraient d’un système avantageux est démagogique. Ce n’est pas forcément facile de faire une à deux heures de trajets par jour pour aller travailler. En période de crise, on cherche des boucs-émissaires mais je ne crois pas que la Suisse ait des difficultés économiques, contrairement aux pays de l’Union européenne. Par ailleurs, il faut souligner que son taux de chômage est inférieur à celui qu’il était avant la signature des accords bilatéraux sur la libre-circulation.

JOL Press : Comment avez-vous réagi à l’annonce des résultats de cette votation ?

Valérie Pagnot : Il s’agit d’un vote démocratique, on ne peut que prendre acte de la décision de la population suisse. Après, on peut constater que l’application de cette réforme va rendre les choses plus complexes aussi bien pour les autorités suisses que pour les travailleurs frontaliers. Il faut bien comprendre que jusqu’ici l’employeur n’avait aucune contrainte dans le choix de ses salariés, il ne faisait aucune différence entre un résident suisse et un citoyen de l’Union européenne. Demain ce ne sera plus le cas car on va limiter le nombre de travailleurs étrangers.

Il faut malgré tout nuancer les conséquences de ce référendum car il est inscrit que cette décision sera appliquée dans le respect de l’économie suisse. Cela laisse supposer qu’il y aura une certaine souplesse dans l’application de ces quotas pour que l’économie suisse n’en pâtisse pas.

JOL Press : Les travailleurs frontaliers en poste sont-ils concernés par cette affaire ?

Valérie Pagnot : Les travailleurs frontaliers en poste n’ont pas de soucis à se faire, il n’y aura pas d’effets rétroactifs de la législation. Les travailleurs étrangers qui résident aujourd’hui en Suisse ou à la frontière ne se verront pas du jour au lendemain remercié et invité à quitter le territoire.

JOL Press : Pensez-vous que cette votation va faire changer le regard du Suisse sur le travailleur étranger ?

Valérie Pagnot : Il est vrai que sur ces dix des dernières années, une augmentation des tensions a été constatée avec l’arrivée importante de travailleurs frontaliers qui sont venus parce que la Suisse avait besoin de ces compétences. En parallèle, les infrastructures routières et le logement ne se sont pas développés à la même vitesse. Si je pense que nous avons jusqu’alors travaillé dans un grand respect mutuel, il n’en demeure pas moins que la coopération entre nos deux Etats pourraient être encore améliorée.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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