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Comment réussir un remaniement ministériel?

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Vingt et un ministres ont accepté de se confier à Jean-Michel Djian, c’est-à-dire d’évoquer sur le ton de la confidence, et parfois avec vivacité voire acidité, le contexte de leurs nominations, démission ou éviction, les joies comme les souffrances de cette expérience. Cette saga gouvernementale inédite en dit long sur l’exercice quotidien du pouvoir mais aussi sur la profondeur de la crise que traverse le « métier » politique d’aujourd’hui.

Extraits de Ministre ou rien : Confidences et règlements de comptes au sommet de l’Etat, de Jean-Michel Djian (Flammarion – janvier 2014)

Tout se décide dans le bureau du président où, généralement, se pressent le secrétaire général de l’Élysée et quelques fidèles. Pierre Juillet ou Marie- France Garaud pour Georges Pompidou, Bernard Pons pour Jacques Chirac, Michel Charasse pour François Mitterrand ou Claude Guéant pour Nicolas Sarkozy furent ces figures de l’ombre qui comptent dans la dernière ligne droite. Car il s’agit d’abord d’évaluer les rapports de forces politiques de l’instant, jauger les états d’âme d’une majorité pour, au final, gratifier les fortes têtes d’un maroquin adéquat. Sans oublier de ne pas froisser telle ou telle région de France qui pourrait se vexer en n’étant pas représentée.

[image:2,s]Mais, au-delà du caractère quelque peu trivial de l’exercice, la réussite d’une composition ou d’un remaniement ministériel tient surtout au doigté tactique qui préside à sa mise en œuvre.

Si la rumeur, les fuites et les supputations n’arrivent jamais par hasard dans la montée en puissance du processus (on y teste les réactions médiatiques et microcosmiques), il est évident que le but recherché par l’exécutif est de récompenser une majorité quand il s’agit de la création ipso facto d’un gouvernement post-électoral, ou de rechercher un nouveau souffle politique lorsque, à l’occasion d’une crise, le président de la République envisage de remanier. « Les ministres sont alors, imagine Arnaud Montebourg, comme des santons qui attendent d’être déplacés sous l’arbre de Noël. »

Dans le premier cas, les ressorts qui sous-tendent le choix des ministres sont d’abord le fruit de la traduction gouvernementale d’un état de fait électoral ; dans le second, la décision est l’expression de la volonté présidentielle d’en finir avec une équipe usée par une succession d’échecs, de scandales ou d’impopularité. Parfois, le choix s’explique par la personnalité de tel ou tel titulaire de poste se révélant à contre-emploi de la politique menée par le chef de l’exécutif.

Le cas de Jean-Pierre Cot et de Jean-Marie Bockel, ministres de la Coopération de François Mitterrand pour l’un et de Nicolas Sarkozy pour l’autre, est, à vingt-cinq ans d’écart, l’illustration parfaite du hiatus qui existe entre le discours et la réalité. Car, pour l’un et l’autre, les présidents avaient, dès leur élection, fait de leur relation avec l’Afrique le point de départ d’« un nouveau partenariat ». Il n’en fallait pas plus pour que, fidèles à l’engagement donné, les deux ministres s’exécutent et proposent d’en finir avec la « Françafrique » sulfureuse des années postcoloniales. Jusqu’au jour où les chefs d’État africains se liguèrent pour dire au président de la République française : « On veut des ministres qui nous comprennent ! » Traduction : des ministres qui ne changent rien. Et ils reçurent satisfaction. « Lorsque je fus obligé de remettre ma démission, se rappelle Jean-Pierre Cot, je savais que je ne ferais plus de politique ; et c’est ce qui s’est passé. »

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Jean-Michel Djian est docteur en sciences politiques. Journaliste et universitaire, auteur de plusieurs ouvrages et documentaires, il est aujourd’hui producteur à France Culture et rédacteur en chef de France Culture Papiers. Il est aussi l’auteur d’un documentaire passionnant diffusé sur France Télévisions consacré aux ministres.

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