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En Bosnie, les manifestants expriment un désespoir profond

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JOL Press : Comment expliquez-vous le très haut niveau de tensions et la colère populaire contre le pouvoir politique en Bosnie-Herzégovine ?
 

Gaëlle Pério Valero : L’explication est finalement assez simple. La Bosnie-Herzégovine est un petit pays de 3,8 millions d’habitants qui, depuis les accords de paix de Dayton, qui ont mis fin à la guerre en 1995, est, de façon institutionnelle, divisé en trois entités.

Deux de ces entités sont regroupées en fédération et chaque entité correspond à une communauté : les Serbes, les Croates, les Bosniaques. Cet accord de paix, qui a été très efficace pour mettre fin aux combats, aurait dû être transitoire. Or depuis 1995, la Bosnie-Herzégovine a un fonctionnement qui ne peut pas être un celui d’un Etat et qui ne peut être pérenne. Les Bosniens se sentent donc englués dans une impasse politique.

Au niveau économique, ils sont confrontés à un taux de chômage impressionnant de 27,5%. C’est le plus haut taux dans les Balkans.

Les Bosniens se retrouvent donc dans un pays divisé institutionnellement, divisé entre communautés, confronté à une sortie du communisme et à un après-guerre dont les cicatrices sont encore très présentes. Ils sont en difficultés économiques et surtout ils ne voient aucune perspective d’amélioration.

La violence que l’on constate est également le reflet d’une croyance généralisée selon laquelle les politiques au pouvoir sont corrompus. Les manifestants sont alors guidés par un désespoir profond et une grande colère.

JOL Press : Pour quelles raisons les Accords de Dayton n’ont-ils jamais abouti à la construction d’un Etat viable ?
 

Gaëlle Pério Valero : L’objectif de Dayton était de mettre un terme aux combats dans l’espoir de voir naître une forme de maturité politique qui permette à la classe politique de Bosnie de se construire et de construire son propre Etat.

Avant la guerre, la Bosnie-Herzégovine était une république, une fédération : la Yougoslavie. En sortant de la guerre, il n’y avait pas d’Etat. N’existait alors que l’espoir d’une construction démocratique et dans cet objectif que le pays a été accompagné.

Mais certains éléments n’ont pas été anticipés. Le pays est sorti de la guerre profondément divisé et meurtri. Pendant les années de conflit, la corruption et le clientélisme étaient courants tandis que les communautés ont été dressées les unes contre les autres. La peur de l’autre a d’ailleurs permis à plusieurs personnes de se maintenir au pouvoir.

En Bosnie-Herzégovine, l’argument de masse pour se faire réélire c’est : « nous contre les autres » ou encore « la défense de nos intérêts contre ceux des autres ».

JOL Press : On parle aujourd’hui plus d’entité croato-musulmane que de Bosnie-Herzégovine. Est-ce le signe de l’échec de la construction de ce pays ?
 

Gaëlle Pério Valero : Tant que rien n’est terminé, on ne peut pas parler d’échec. Cependant, force est de constater que les choses sont mal engagées et rien n’est très positif pour le moment.

Dès les premières années d’école, la différence et la séparation entre les communautés est accentuée. C’est un marqueur très fort entretenu par la classe politique.

La guerre s’est déroulée il y a moins de 20 ans. Elle a été très traumatisante et aujourd’hui encore, des questions qui datent de cette époque n’ont pas été réglées, notamment la question des disparus.

20 ans ce n’est pas long en termes historiques. Ce souvenir n’est pas encore tout à fait cicatrisé et il n’est pas encore née cette maturité, sans effacer le passé, de construire des ponts entre les communautés.

C’est pour cela qu’aujourd’hui, quand on parle de soulèvement en Bosnie-Herzégovine, on parle en fait plus de la communauté bosniaque et de façon mineure, de la communauté croate, mais on ne parle pas pour le moment de la communauté serbe. Le vrai soulèvement global et populaire des Bosniens ne sera effectif que lorsqu’il sera inter-ethnique.

JOL Press : Pensez-vous que la tenue d’élections anticipées, dans ce cadre institutionnel, soit vraiment la solution ?
 

Gaëlle Pério Valero : Des élections ne sont jamais une solution mais une proposition de changement.

La vraie question est celle des changements qui pourraient se produire chez les candidats, dans les programmes et dans l’éventuelle émergence d’un mouvement citoyen ou d’une alternative politique.

Nous verrons alors si ces élections sont le reflet de ce mouvement, et si la classe politique peut prendre au sérieux les demandes des citoyens.

JOL Press : Pensez-vous qu’une telle hypothèse soit probable ?
 

Gaëlle Pério Valero : Nous devons pour le moment rester patients et observer. Ce soulèvement n’a qu’une semaine et il est trop tôt pour parler de « Printemps bosniaque ».

J’observe simplement que des premières protestations ont eu lieu cet été et que celles-ci sont beaucoup plus violentes. Néanmoins, faire des prédictions est pour le moment prématuré.

Propos recueillis par Sybille de Larocque

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