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En Centrafrique, les militaires français confrontés à des «bandits»?

Le 10 février, l’AFP a rapporté ces propos du général Soriano, commandant de l’opération Sangaris en Centrafrique : les anti-balakas « seront chassés comme ce qu’ils sont : des hors-la-loi et des bandits ». Le mots est lâché : « bandits ».

Ce mot en rappelle d’autres, prononcés par d’autres officiers lors d’une autre mission d’interposition, celle de la force Licorne en Côte d’Ivoire. Le 26 août 2003, deux militaires français y sont « tués au combat » annonce David Pujadas à 20h, sur France 2. Le reportage qui suit livre des explications : « La patrouille a mal tourné : il y a eu des échanges verbaux puis des échanges de tirs. Bilan : un blessé et deux tués, les deux premiers au combat depuis le début de la crise ivoirienne, il y a un an. Au QG de l’opération Licorne, on exprime de la tristesse mais aussi la volonté de ne voir dans cet accrochage qu’un acte isolé ».

Le général Pierre-Michel Joana, commandant de l’opération Licorne, est interrogé : ceux qui ont tiré sur les Français sont souvent « dans un état d’excitation élevé, dû probablement à une consommation abusive d’alcool et même de drogue. Donc c’est un accident, même s’il est malheureux, isolé ». 

La France n’a donc pas d’ennemi dans ce pays

La voix off du reportage évoque une mort « au combat » mais le général Joana, lui, parle d’un « accident » dû à une « consommation abusive d’alcool » et « de drogue ». Les forces du général Joana en Côte d’Ivoire sont en mission d’interposition et de maintien de la paix. La France n’a donc pas d’ennemi dans ce pays. Si ces soldats sont morts, c’est à cause d’un manque de chance certain : ils ont croisé les mauvaises personnes, un genre particulier de délinquants, au mauvais moment.

Cet épisode ivoirien a été suivi d’une séquence beaucoup plus dramatique en 2004 et 2005 : 9 soldats français morts dans le bombardement de Bouaké (novembre 2004) imputé à l’aviation ivoirienne, la riposte française détruisant les forces aériennes du président Laurent Gbagbo, les violentes manifestations anti-françaises à Abidjan donnant lieu à des tirs français provoquant la mort de civils. L’ampleur et l’intention de ces tirs sont longtemps demeurées objets de débats.

Médiatiquement, la polémique prend des proportions particulièrement préoccupantes pour l’institution de Défense avec la diffusion le 30 novembre 2004 de « 90 minutes » sur Canal+ accusant l’armée française d’avoir causé la mort de plusieurs dizaines de civils ivoiriens. Un second « 90 minutes », le 8 février 2005 vient compléter les informations du premier. Le parti pris de ces émissions est bien réel, mais les arguments qui y sont portés sont repris par les autres chaînes de télévision au fil des semaines.

La communication sur des missions d’interposition et de maintien de la paix est complexe

Le conditionnel employé en atténue à peine la portée. Les déclarations officielles de l’Etat-major et du ministre de la Défense (Michèle Alliot-Marie) manquent alors de cohérence, accentuant le malaise médiatique. Après quelques mois de calme relatif, nouvelle explosion médiatique en octobre 2005 avec l’affaire Firmin Mahé, un présumé « coupeur de route » tué dans des conditions obscures par des militaires français sans que leur hiérarchie ne réagisse immédiatement.

Pendant deux ans, le récit des actions de Licorne en Côte d’Ivoire a révélé à quel point était complexe la communication sur des missions d’interposition et de maintien de la paix, dans ce type de contexte qui mêle conflit civil et dérives criminelles. En Centrafrique, la situation de Sangaris n’a pas atteint un tel niveau d’intensité dramatique. Il y a bien eu un « Spécial investigation » diffusé sur Canal+ le 13 janvier dernier, reprochant à demi-mots aux militaires français leur partialité dans le désarmement des parties en présence, au profit des anti-Balakas.

Ces interrogations ont été portées par quelques reportages d’autres médias sans jamais émerger réellement dans les journaux d’information des grandes chaînes hertziennes nationales. Les faits sont évidemment d’une nature différente et le degré de gravité des accusations portées est bien moindre. L’institution de Défense a aussi largement progressé dans sa communication.

Reste que l’utilisation du terme « bandits » vient confirmer que la mission de Sangaris, sur le terrain, est particulièrement épineuse et que le récit qui peut en être fait par les communicants de la Défense et par les journalistes va devenir de moins en moins limpide.

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